S’il est le plus
souvent perçu, et à juste titre, comme un moyen de se divertir, le jeu vidéo a
démontré au cours de sa plus si jeune existence qu’il savait diversifier son
propos et amener le joueur sur d’autres terrains. Certains jeux sortent donc de
ce carcan purement ludique pour amener à des réflexions, dénoncer, ou éduquer.
C’est ce volet éducatif qui sera au centre de ce nouveau Stickology, la
(désormais fameuse) rubrique qui se penche sur les publications scientifiques
liant le jeu vidéo et la biologie.
Captain Novolin (SNES) |
L’article décortiqué
aujourd’hui s’éloigne un brin des formats précédents puisqu’ici pas de mesures,
de noms barbares, d’astérisques ou de R² mais plutôt la présentation d’un
concept de serious game à destination des plus jeunes. En plusieurs décennies,
ce genre de titres a fait preuve d’inventivité pour apprendre aux têtes
blondes, qu’il s’agisse de leur présenter leurs programmes scolaires de façon
plus attrayante, ou plus globalement de leur enseigner les choses de la vie. Ma
génération garde probablement un souvenir ému des représentants les plus fameux
de cette vague, Adi et Adibou, stars de Coktel dans les années
90 ou d’Atout Clic, un logiciel qui
a su s’introduire jusqu’à nos écoles en déclinant sa méthode et son ton amusant
à toutes les classes d’âge. En dehors du milieu scolaire, certains titres plus
spécialisés s’intéressaient déjà à la santé des enfants, comme les déclinaisons
sur PC d’Il était une fois la Vie, ou les tant moqués Captain Novolin et Packy
& Marlon, deux titres sur consoles destinés aux enfants diabétiques.
Depuis cette époque, les serious games ont poursuivi leur chemin et sont
régulièrement utilisés auprès d’enfants hospitalisés, voire d’adultes, pour
accompagner leur traitement ou diminuer leur anxiété en milieu hospitalier.
Certains de ces “jeux sérieux” font l’objet de publications détaillant leur
principe, et c’est sur l’un d’entre eux que nous allons nous attarder.
Using
Augmented Reality to Motivate Oral Hygiene Practice in Children: Protocol for
the Development of a Serious Game.
Amantini,
S., Montilha, A., Antonelli, B. C., Leite, K., Rios, D., Cruvinel, T., Lourenço
Neto, N., Oliveira, T. M., & Machado, M.
JMIR research protocols, Janvier
2020
L’équipe de
dentisterie pédiatrique brésilienne à l’origine de cette publication souhaite
mettre au point un moyen d’enseigner aux enfants la bonne manière de se brosser
les dents à l’aide d’un serious game capable d’installer une interaction suffisamment
forte entre le programme et le joueur. Il a effectivement été montré auparavant
que l’apprentissage était facilité par l’utilisation de la technologie auprès
de cette génération de “digital natives”, élevés dans le numérique et la
technologie. L’enjeu est réel, puisqu’on parle ici de santé publique : il faut
être capables d’enseigner efficacement les bons gestes à une génération
habituée à être encouragée par un écran, à l’inverse des “digital immigrants”
des générations précédentes. Un serious game efficacement conçu comblerait le
fossé séparant ces deux générations et amènerait à une population idéale à
l’hygiène dentaire impeccable et aux gencives saines. Comment accomplir cet
exploit ? La réponse résiderait, d’après les auteurs, dans la réalité augmentée.
La RA ne cesse de
gagner du terrain et trouve chaque jour de nouvelles applications. En mêlant
des éléments virtuels au monde réel, elle donne plus de force à son propos et
se voit déclinée à l’envi dans les domaines du tourisme, de la vente et du
divertissement. Un de ses plus fiers représentants dans le domaine du jeu vidéo
reste Pokémon Go, qui est parvenu à
faire sortir de chez eux des hordes de joueurs dans d’immenses chasses aux
monstres virtuels dans notre monde bien réel. C’est sur cette technologie
qu’entend se baser l’équipe responsable de ce serious game. Quoiqu’un peu avare
de détails sur les applications concrètes de leur jeu, l’article en développe
néanmoins l’idée principale, basée sur le capteur Kinect de Microsoft. Son utilisation en 2020 peut prêter à sourire,
mais sa technologie de détection de mouvements colle parfaitement à l’objectif
d’aider les enfants à mieux se brosser les dents.
"Après votre brossage, il y aura du gâteau"... Ah ben non |
Face à son écran,
reconnu par les capteurs, l’enfant pourra choisir son avatar et sa technique de
brossage parmi les deux disponibles. Bien qu’il en existe d’autres, les
dentistes ont choisi de proposer la technique de Fones, consistant à un
brossage en cercles facile à mettre en oeuvre pour un enfant quoique moins
efficace, et la plus classique technique de Stillman au brossage horizontal.
Après un round d’échauffement permettant à Kinect de bien se calibrer sur les
mouvements du joueur, le brossage à proprement parler pourra commencer. Sur
l’écran, une dentition cracra enjoindra l’enfant à nettoyer les débris situés
ça et là pour augmenter son score, en reproduisant à l’écran les mouvements du
brossage. Une reconnaissance précise du mouvement permettra de corriger les
erreurs de l’enfant, et un bon score sera donc corrélé à un brossage efficace. L’ensemble
sera simple, lisible, immédiatement compréhensible par les plus jeunes.
L’article présente
donc ce concept, mais ne va pas plus loin : l’outil n’est pas développé et
aucune étude sur une population de jeunes joueurs n’a donc été réalisée. Un
certain nombre de questions peut être soulevé malgré tout, la plus évidente
étant le choix du Kinect. Combien de foyers, au Brésil ou ailleurs, peuvent se
targuer de posséder et d’utiliser régulièrement le détecteur ? Pourquoi
choisir, pour un outil qui ne sera pas opérationnel avant plusieurs mois ou
années, un terminal dont la production a été arrêté il y a trois ans de cela ?
Sans doute conscients de ce point faible, l’équipe annonce qu’une version iOS
et Android moins précise mais néanmoins capable de détecter des mouvements sera
également proposée. Rien dans l’article ne vient cependant développer cette
annonce. La localisation de l’appareil, forcément relié à un écran, serait peu
compatible avec le brossage généralement réalisé dans une salle de bains. Enfin,
quid de la pression exercée sur les dents et les gencives ? Kinect est-il
capable de ce degré de sensibilité ?
Finalement, ce
protocole idéaliste peut être utile à l’apprentissage des jeunes générations,
mais sa mise en pratique est on ne peut plus discutable. Difficile de savoir
jusqu’où ira ce projet, mais la forme qui lui est donnée dans l’article
d’Amantini et al peine à convaincre. Il est cependant permis de penser que de
tels protocoles basés sur la réalité augmentée, et qui font de l’immersion leur
principale force, pourront être inclus dans des miroirs connectés. C’est par
exemple déjà le cas des miroirs CareOS, qui incluent différents programmes de
la sorte pour les adultes comme les plus jeunes. Parmi eux, Rabbids Smart Brush, un jeu basé sur les
Lapins Crétins d’Ubisoft qu’il faut déplacer à coups de brosse à dents
connectée. Toute cette technologie a évidemment un coût, et laisser une caméra
entrer dans sa salle de bains n’est pas une évidence pour tout le monde.
Néanmoins, ces programmes existent, fonctionnent et sont proches de déferler
sur le marché. La bonne idée de l’équipe brésilienne arriverait donc après la
bataille, dans le fond comme dans la forme. Tout ceci montre cependant que les
serious games sont toujours présents pour apprendre les bons gestes aux
bambins, et qu’ils peuvent prendre une multitude de formes. Nous aurons
peut-être l’occasion d’y revenir dans un prochain article.
Rabbids Smart Brush fait déjà le pari d'apprendre le brossage |
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billets de la rubrique :
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Stickology #5 : La représentation de la femme et le sexisme dans le jeu vidéo
Stickology #6 : Cerner l'addiction aux jeux vidéo pour mieux l'étudier
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