Jeu vidéo et Biologie - Stickology

- la Science du Jeu Vidéo, par Aurionis

Stress et jeu vidéo : quels genres sont les plus néfastes ?










(Ou pourquoi PewDiePie aurait dû jouer à plus de puzzle games avant de vriller.)


Quand on y repense, c’est tout de même formidable le jeu vidéo. Depuis notre plus tendre enfance, nous y sommes confrontés et apprécions toujours plus ce qu’il nous invite à découvrir. En tant que joueurs, il nous semble évident de défendre notre passion contre ceux qui n’y voient qu’un loisir pour enfants attardés, et qui lui prêtent des effets néfastes sur notre développement. Il n’est ainsi pas rare que la communauté des gamers s’insurge contre ceux qui cherchent à descendre en flèche leur bien-aimé passe-temps, aux premiers rangs desquels se trouvent les journaux et magazines grand public. Que ceux qui ont encore l’affaire Meuporg en travers de la gorge lèvent la main. Cependant, il serait aisé d’être aveuglés par notre amour du jeu vidéo et d’oublier que sa pratique n’est pas sans risques !


La communauté scientifique s’est penchée sur la question à de nombreuses reprises et a mis en évidence sans contestation possible qu’une série de réponses physiologiques négatives allait de pair avec le fait de jouer. Augmentation de la pression sanguine, des fréquences cardiaque et respiratoire, sécrétion accrue de cortisol : tous ces évènements entrent dans la définition plus large de stress. Lors de notre dernière analyse, nous avons vu qu’avec un peu de mauvaise foi, il était possible de corréler la musique techno de Quake à une augmentation des niveaux de cortisol. Il s’agissait là d’une étude peu fiable et jamais reproduite, et la croire sur parole me semble être une erreur. Malgré tout, la thématique du stress induit par le jeu vidéo est réellement digne d’intérêt, aussi vous avais-je promis d’y revenir. Vous voici donc devant la deuxième partie de notre diptyque “stress et jeu vidéo”, qui délaisse l’effet de la bande-son pour mieux se focaliser sur les genres les plus stressants.



The Beneficial or Harmful Effects of Computer Game Stress on Cognitive Functions of Players.
Aliyari, H., Sahraei H., Daliri, M. R., Minaei-Bidgoli, B., Kazemi, M., Agaei, H., et al.
Université de Téhéran


Quand on étudie le stress, le cortisol fait office de marqueur idéal. En effet, une situation de stress active différentes zones du cerveau et entraîne la libération d’un certain nombre de substances et hormones. L’ACTH (Adreno Cortico-Tropic Hormone) est de celles-là, et c’est justement sous son action que le cortisol est produit au niveau des glandes surrénales. Plus le stress est intense, et plus les niveaux de cortisol mesurés seront élevés, c’est sur ce principe que reposait l’étude précédente. Les effets du cortisol, s’ils aident à mieux répondre à une situation de stress (concentration, mémoire, prise de décision), sont cependant délétères quand il est présent en trop grande quantité. Autrement dit, un stress chronique se révèle mauvais pour l’organisme et la capacité d’un individu à faire face aux situations difficiles : il a notamment été relié à l’addiction, ainsi qu’à la dépression. Tout ceci vaut au cortisol le petit surnom mignon et amplement mérité d’”hormone du stress”.

Dans cette étude, un second marqueur physiologique sera analysé pour refléter l’état de stress des joueurs. Il s’agit cette fois d’une enzyme digestive retrouvée dans la salive, l’α-amylase, sécrétée rapidement et en quantité lors d’une réponse compensatrice insuffisante face au stress, une réaction plus généralement appelée la peur. Puisqu’un nom sexy est recommandé, l’α-amylase sera donc qualifiée de ”marqueur de la peur”. Cette enzyme étant produite par les glandes salivaires, un simple prélèvement de salive suffit à l’isoler pour en contrôler la quantité.
Pour résumer, nous sommes ici en présence de deux marqueurs biologiques permettant de quantifier des notions neuro-psychologiques : le stress et la peur. Il ne reste plus qu’à les étudier dans le cadre de la pratique du jeu vidéo pour établir une classification des genres de jeux induisant les plus fortes réactions, et discuter de leurs possibles effets à long terme dans le cadre d’une pratique intensive.


LE PROTOCOLE

Figure 1 : emplacement des électrodes
Quatre groupes d’une vingtaine d’hommes ont été exposés à quatre genres de jeux, sur lesquels nous reviendrons plus bas et nommés “Puzzle”, “Runner”, “Fear” et “Excitement game”. À chaque groupe était assigné un genre, sélectionné pour sa capacité à créer un stress de nature différente. Au début et à la fin d’une session unique d’une dizaine de minutes, chaque participant se voyait délesté d’un peu de salive analysée par la suite pour quantifier les deux marqueurs qui nous intéressent. L’α-amylase a pu être dosée via un kit de détection spécifique, tandis que la quantité de cortisol a été mise en évidence par un test immunologique ELISA. Les participants arboraient également une série d’électrodes destinées à enregistrer leur activité cérébrale au cours de leur partie et dans les minutes qui suivaient (Figure 1).



LES RÉSULTATS

Par souci de clarté, les résultats obtenus par Aliyari et al. après être passés à la moulinette des statistiques seront présentés par genre de jeu (Figure 2). Jamais explicitement nommés dans l’article, on peut néanmoins deviner le nom de ces jeux avec plus ou moins de certitude.




Figure 2 : évolution des niveaux d'α-amylase et de cortisol pour chaque genre.




Le Puzzle game est présenté comme un jeu de réflexion basé sur les additions, dont le succès a été fulgurant. On peut facilement l’associer au très prenant 2048 (sorti en 2014), qui a été sélectionné pour cette étude en raison de sa capacité à induire un “stress logique” causé par un sentiment d’incapacité à faire avancer le puzzle. Il a été montré que les niveaux d’α-amylase et de cortisol diminuaient légèrement après une session sur ce jeu, prouvant qu’il n’était pas inducteur mais plutôt réducteur de stress. En effet, le rôle des puzzles étant par définition de solliciter les capacités à résoudre des énigmes et prendre des décisions, aucun mécanisme physiologique n’a à intervenir pour compenser un stress et faciliter ces réactions. Les puzzle games font donc office de bons élèves quand il s’agit de désigner un genre “relaxant”.


Le Runner game sélectionné dans l’étude demande une bonne coordination des doigts et des yeux, et le sens du rythme pour appuyer sur les boutons quand les symboles passent dessus : on a clairement affaire à ce que l’on appelle plutôt un rythm-game, qui pourrait être un titre comme Frets on Fire ou Beatmania. Ces jeux induisent évidemment un stress, dont l’origine est différente du stress logique d’un Puzzle game : on parlera ici de stress de limite, dicté par le tempo à respecter. Les niveaux d’α-amylase mesurés après la session étaient un peu plus élevés qu’initialement, tandis que le cortisol se maintenait à un niveau stable. Ce “petit” stress est juste suffisant pour amener le joueur à bien focaliser son attention sur ce qu’il fait et améliorer ses performances. Tout ce qui touche au rythme et à la coordination semble donc occasionner un stress un peu plus important qu’un jeu “calme”, retenez-le bien car cette notion ne va pas tarder à revenir...


Place aux gros morceaux de l’étude ! L’Excitement game est clairement là pour un fun immédiat qui en met plein la vue : il propose une violence satisfaisante et impressionnante sous forme d’un jeu de versus fighting explicite, en la personne de Mortal Kombat X. Un genre très intéressant à étudier puisque très pratiqué et bien représenté dans l’e-sport, vecteur d’un stress dit d’interaction causé tant par les visuels que par le timing et la coordination demandée pour sortir les coups désirés (tiens, les revoilà !). Après dix minutes de combats les taux d’α-amylase et, surtout, de cortisol augmentent nettement, traduisant le stress très aigu qu’occasionnent les jeux de baston. Ce n’est pas anodin car, comme le rappellent les auteurs, le stress d’interaction mettrait en jeu des récepteurs dont la suractivation amènerait à une prolifération de substances à effet neurotoxique pour les cellules nerveuses et les synapses, avec des conséquences telles que des comportements agressifs. Si seulement Infiltration, champion de Street Fighter récemment déshonoré par ses actes violents, l’avait su...


Le Fear game est la vraie raison d’être de cette étude, qui fait un excellent choix en choisissant un jeu d’horreur aux visuels creepy et à l’ambiance sonore travaillée pour mouiller son pantalon : Outlast. Le jeu ne cherche pas à créer un simple stress, mais de la peur pure et dure. À en croire les résultats de dosage de nos molécules marqueurs, il y arrive fort bien : l’α-amylase tout comme le cortisol atteignent des sommets à mesure que le trouillomètre descend à zéro. Les voies métaboliques amenant à la synthèse de ces deux substances sont constamment sollicitées pendant un jeu d’horreur, induisant un stress non plus aigu mais chronique. Là encore, les dommages sur le système nerveux sont réels : le dérèglement du fonctionnement habituel du glutamate occasionne la destruction de cellules nerveuses et rend la mémoire et l’apprentissage plus difficiles, à mesure que des comportements agressifs ou dépressifs sont quant à eux favorisés (cf article complémentaire en bas de page). Dit comme cela, ces effets n’ont pas l’air si différents de ceux du jeu de combat. Un regard rapide aux mesures faites par les électrodes démontre le contraire : l’état de peur induit par Outlast perdure bien après la fin de la session de jeu là où le stress du jeu de baston, bien qu’élevé, s’estompe (Figure 3).

Figure 3 : activité cérébrale après une session de Fear game (gauche) ou d'Excitement game (droite)



EN BREF

“Les jeux d’horreur seraient les plus stressants ? Tu parles d’un découverte !”
Dit comme cela, l’étude d’Aliyari et al. ne semble effectivement pas réinventer la roue. Elle apporte néanmoins des données chiffrées plutôt robustes pour démontrer que les jeux vidéo auxquels nous nous adonnons ont différents effets sur nos activités neurologique et métabolique, selon le type de stress auquel nous sommes exposés. Aussi une exposition régulière à des jeux d’horreur pourra-t-elle décupler les effets délétères sur le cerveau du joueur, c'est pourquoi il serait plus prudent de ne pas y passer tout son temps mais plutôt de varier les styles afin de ne pas être constamment confronté à cette peur psychologique et physiologique. À ce titre, il serait intéressant de jeter un oeil à l’évolution de Youtubers spécialisés dans les jeux d’horreur : auront-ils des séquelles liées à cette surconsommation d’ici quelques années ? Y a-t-il déjà des exemples concrets (voir le sous-titre de ce post) ?

Bien que ce ne soit absolument pas son propos initial, le présent article donne aussi des informations intéressantes en matière de game design, en permettent de relier des contraintes de gameplay précises à leurs effets sur notre stress. Par exemple, puisque l’on sait que les contraintes temporelles et la coordination entraînent un stress supplémentaire (stress de limite) différent de celui d’un jeu d’horreur (stress de peur), l’ajout d’une phase de course-poursuite contre un assaillant dans un jeu d’horreur ne devrait pas manquer de faire grimper les quantités d’α-amylase et de cortisol des joueurs. Et si le jeu de demain était designé uniquement à partir de nos constantes physiologiques ? Davantage d’études seront bien évidemment nécessaires, elles devront mieux prendre en compte une vision longitudinale de la pratique du jeu vidéo, là où cet article -comme tant d’autres- n’a d’autre choix que de se baser sur des mesures transversales.

Cette deuxième moitié de notre thématique sur le stress permet d’apporter un regard plus complet sur la façon dont la science s’intéresse à nous autres les joueurs. Cet article (à la différence du précédent) ne semble pas orienté et évite les conclusions hâtives, ce qui en fait une source d’informations plus pertinentes. Avec le nombre croissant d’études sur le jeu vidéo, les protocoles se doivent d’être plus robustes, et il est certain qu’une publication pleine d’errements comme celle d’Hebert et al. (2004) serait retoquée de nos jours. Comme deux faces d’une même pièce, ces deux publications démontrent que la pratique du jeu vidéo n’est pas dissociable de la notion de stress, de la plus infime variation à la peur la plus totale. Cela n’a rien d’étonnant et d’autres loisirs sont concernés par ce genre d’études (la musique rythmée induit elle aussi du stress, de même que les films à suspense), aussi ne faut-il pas se formaliser sur des résultats qui ne sont pas là pour donner des leçons, mais pour nous éclairer toujours plus sur l’influence qu’ont nos pratiques quotidiennes sur nous. C’est aussi ça, la Stickologie.

 
Pour aller plus loin sur les apports d’un stress aigu :
Maheu, F. S., Joober, R., & Lupien, S. J. (2005). Declarative Memory after Stress in Humans: Differential Involvement of the β-Adrenergic and Corticosteroid Systems. The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism, 90(3), 1697–1704.

Pour aller plus loin sur les effets délétères d’un stress chronique :
Yu, R. (2016). Stress potentiates decision biases: A stress induced deliberation-to-intuition (SIDI) model. Neurobiology of Stress, 3, 83–95.

Précédents billets de la rubrique :

Stickology #3 : La musique de jeu vidéo nous stresse-t-elle ?
Stickology #5 : La représentation de la femme et le sexisme dans le jeu vidéo 
Stickology #6 : Cerner l'addiction aux jeux vidéo pour mieux l'étudier
Stickology #7 : Apprendre à se brosser les dents avec Kinect 

Stickology #8 : Et si Starcraft 2 sauvait le monde ?

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