Il y a quelques années, Kickstarter était
une plate-forme de financement participatif pleine de promesses, un nouveau
souffle dans une industrie dans laquelle trop peu de petits créateurs
bénéficiaient d'une visibilité suffisante. Le bilan que l'on pourrait en tirer
aujourd'hui, entre projets avortés et surabondance de jeux médiocres, en fait
une Cour des Miracles dans laquelle, pour survivre, il vaut mieux avoir dans
son équipe un grand nom du jeu vidéo. C'est sur ce point que s'appuyait assez
clairement Playtonic Games lors de sa campagne pour Yooka-Laylee en 2015.
Pensez donc : les darons du jeu de plate-forme en 3D qui proposent de remettre
le couvert, vingt ans après des titres aussi mémorables que Banjo-Kazooie ou
Conker ! Si l'étiquette et les licences de Rare ne sont plus là, il est des
noms qui laissent présager de bonne choses. Chris Sutherland (Donkey Kong
Country, Banjo) à la programmation, David Wise et Grant Kirkhope à la
composition, il n'en fallait pas moins pour titiller la curiosité des nostalgiques
qui ont fait de cette campagne un grand succès. Le jeu sort finalement en 2017,
et vient remettre au goût du jour ce qui a fait la saveur de nombreux titres
sur Nintendo 64 : de la plate-forme colorée, des collectibles en pagaille et un
duo charismatique.
Retour gagnant ?
Retour gagnant ?
Yooka-Laylee introduit donc de nouveaux
protagonistes très clairement conçus pour remplacer Banjo et Kazooie, le duo
fonctionnant de la même façon. Yooka est un caméléon joyeux et volontaire, et
Laylee une pipistrelle cynique constamment juchée sur sa tête. Leur design
réussi est au service du gameplay, chaque caractéristique des deux compères
étant exploitée au mieux dans les vastes niveaux du jeu. Yooka apprendra par
exemple à devenir invisible, ou encore à entortiller sa queue pour sauter plus
haut, tandis que Laylee émettra des ultrasons et utilisera ses ailes pour
planer. Chaque compétence est plutôt bien sentie et intelligemment employée au
cours du jeu, pour constituer dans les derniers niveaux une palette très
complète nous donnant enfin la pleine maîtrise des environnements en 3D. Au
nombre de cinq (plus un hub central conséquent) ces niveaux regorgent de défis
et d'objets à récolter, les plus importants étant les Pagies, des pages du
livre magique volé à nos héros par le machiavélique Capital B. Les Pagies sont
à Yooka-Laylee ce que sont à d'autres titres les étoiles, les soleils ou encore
les pièces de puzzle : la ressource essentielle qui nous permettra de débloquer
de nouveaux mondes. Seulement, comme pour briser la monotonie de la collecte
pour passer d’un monde à l’autre, les Pagies peuvent également être utilisées
pour agrandir les niveaux. De nouvelles zones sont alors révélées, regorgeant
de pages supplémentaires. Une astuce de design intéressante mais qui ne chamboule
pas la progression autant qu’elle le pourrait, car pour peu que l’on soit assez
riche, il est permis d’agrandir un monde avant même d’y mettre les pieds pour
la première fois…
Le design des différents mondes à
explorer est un enjeu majeur quand on parle de platformer en 3D. Plus ils sont
vastes, denses, variés et marquants, mieux c’est. Par exemple, si le Bob-Omb
Battlefield de Super Mario 64 est aussi simple à reconnaître, c’est parce qu’il
combine à merveille tous ces éléments : il est découpé en plusieurs zones
facilement identifiables, introduit de la verticalité pour diversifier la
palette de mouvements mis à contribution, et son thème musical résonne dans
toutes les têtes. Yooka-Laylee fait le choix de ne proposer que cinq mondes
(jungle, neige, marais, casino et espace) assez étendus, et il est intéressant
de consacrer un paragraphe à leur architecture car c’est ici que le joueur se
prépare à passer 90% de son temps.
Les Tropiques Tribulantes, premier
environnement du jeu, est un cas d’école. Sans difficulté notable, il introduit
tous les collectibles et toutes les combines à connaître pour trouver des
Pagies, qu’il s’agisse de plate-forme pure, de mini-jeux ou de courses. Le tout
prend place dans une zone vaste-mais-pas-trop à la densité suffisamment bien
calibrée pour que le joueur soit toujours sollicité ou curieux d’aller
inspecter un recoin intéressant. Un thème musical que Kirkhope semble avoir
ressorti de ses brouillons pour Banjo-Kazooie vient relever le tout pour donner
à ces Tropiques de beaux arguments, et en faire l’un des décors les plus
inspirés du jeu. La seconde zone, l’inévitable monde des neiges, reprend peu ou
prou cette recette et offre un vaste palace hommage à Solstice qui vient
diversifier un peu l’approche du joueur. Encore une fois, une bonne pioche qui
fait globalement honneur aux platformers d’antan.
Dès la troisième zone, ce bel équilibre
commence à prendre du plomb dans l’aile. Même si les Marais Marrants ne
manquent pas de moments de bravoure, ils commencent à s’étaler, semblent plus
labyrinthiques que les deux mondes précédents et commencent donc à paraître
moins prompts à se laisser explorer. La verticalité des mondes 1 et 2 s’estompe
un peu, pour ne laisser que quelques lopins de terre entrecoupés d’eau
poisseuse et fatale. L’hommage appuyé à Frogger n’y changera rien : c’est à cet
instant que le jeu bascule, et que cela se ressent. Le casino, quant à lui,
n’essaie même plus d’être original et nous place dans un grand pavé au sein
duquel sont disposés ici et là, et rarement entremêlés, les moyens d’obtenir
des jetons que l’on échangera contre des Pagies à l’accueil. Tout est là,
aligné comme dans un supermarché, sans proposer ce petit plaisir de découvrir
par nous-mêmes les zones d’intérêt. Même en étant indulgent, difficile de ne
pas le trouver raté après un début de jeu pourtant prometteur.
Direction
l’espace pour -enfin- le dernier monde, amusant mais plombé par l’obtention du
pouvoir de voler où bon nous semble. Galaxie Galère se sent alors obligé de se
diviser en de multiples îles sur lesquelles on se rendra en se téléportant ou
en volant au-dessus d’une mer bien trop vaste pour ce qu’elle a à offrir. On
sent beaucoup de paresse et bien peu d’inspiration dans ce dernier monde dont
le thème musical finit par ressembler à tous les autres, tandis que les énigmes
n’ont pas attendu aussi longtemps pour tourner en rond. L’illusion de la
découverte des premiers niveaux fait place à un constat globalement amer, comme
si tous les efforts de l’équipe avaient été concentrés sur le début du jeu,
avant de se rendre compte que mince ! il ne reste plus qu’un mois pour finir le
reste. C’est d’autant plus dommage que certaines séquences sont vraiment
inspirées, mais l’ensemble paraît sous-exploité. C’est cette faiblesse dans la
conception des niveaux qui aura probablement raison de votre attachement au
jeu.
Yooka-Laylee est non seulement l’occasion
de découvrir un nouveau duo de héros, mais également tout l’univers qui les
entoure. Certains éléments ne manquent d’ailleurs pas de charme, et on apprend
très vite à reconnaître les nombreux collectibles que l’on croise. Bon nombre
de personnages secondaires fantasques sont de la partie, qu’il s’agisse de nous
vendre des techniques ou de nous mettre au défi pour gagner une Pagie, et c’est
bel et bien au niveau de ces PNJ que le bât blesse. On se retrouve face à un
véritable freak show, où le bon goût a été terrassé par un character design
tantôt bas de gamme, tantôt répugnant de non-inventivité, où un réfrigérateur
géant côtoie un caddie de supermarché aux yeux dépressifs, entouré de
bonshommes de neige modelés à la truelle. Notre duo de protagonistes est aussi
réussi que leurs camarades sont laids, et ce dans tous les stages du jeu.
Playtonic reprend à son compte une règle tacite de chez Rare consistant à
mettre de gros yeux cartoon à tout ce qui traîne (items, points de passage,
coffres et j’en passe), tandis que le joueur se frottera les siens en se
demandant si un peu plus de soin n’aurait pas été de trop. Aurait-il donné de
ses deniers personnels pour financer un mauvais jeu ?
Non, pourra-t-on lui répondre, car
Yooka-Laylee est malgré tout un digne représentant de ce que les platformers en
3D ont à proposer, entre trip nostalgique et graphismes actuels. Si le duo
fonctionne bien, est maniable et que ses chouette aptitudes sont une surprise
des plus agréables, il manque encore un petit quelque chose au titre pour faire
référence. On ne peut s’empêcher de penser que l’on a affaire à un jeu
paresseux dont les bonnes intentions sont visibles pendant quelques heures,
avant de se révéler dans sa seconde moitié comme un travail bâclé et bien peu
inspiré, tant au niveau artistique (aspect musical inclus, malheureusement)
qu’en matière de design. On décèle malgré tout de bonnes bases chez le premier
bébé de Playtonic, et on se prend à rêver à une suite qui oserait un peu plus
de choses, à commencer par se détacher pour de bon de la série Banjo-Kazooie
pour voler de ses propres ailes, et s’impliquerait davantage à nous proposer un
divertissement de qualité sur la durée. Les exigences actuelles ne sont plus
celles de la fin du siècle dernier.
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