Est-il encore vraiment
nécessaire de présenter la série Dragon Quest (ou DraQue pour les intimes,
DoraQue pour les extrémistes) ? Ces RPG vedettes d’Enix rendent fous les
Japonais depuis plus de trente ans, au point de faire de la sortie de chaque
nouvel opus un évènement national. Articulée autour d’un immuable triumvirat
composé de Yuji Horii au scénario, Akira Toriyama au chara design et papy
Koichi Sugiyama à la bande-son, la série porte bien haut l’étendard du jeu de
rôles nippon sous sa forme la plus pure et représente de ce fait l’archétype du
“porte-monstre-trésor”.
Son succès jamais
démenti du côté de l’empire du levant ne lui a pourtant pas valu de franchir
les frontières européennes avant 2004 et le huitième épisode de la licence, qui
a constitué pour toute une génération dont je fais partie une inoubliable porte
d’entrée dans l’univers fantasy mignon de Dragon Quest. La série ayant pour
habitude de sortir sur la console la plus porteuse du marché du moment,
L’Odyssée du Roi Maudit fut suivi d’un neuvième épisode sur Nintendo DS et d’un
dixième sur Wii, tous deux incorporant des composantes multi (l’épisode X étant
ni plus ni moins qu’un MMORPG). L’attente autour d’un véritable épisode solo de
l’envergure de DraQue VIII était donc justifiée, et se voit ainsi récompensée
en 2017 -2018 chez nous- par la sortie des Combattants de la Destinée. Une
bonne occasion de juger des avancées de la saga, près de quinze ans après son
aîné.
I SWEAR IT’S DEJA VU
Un premier contact
avec le scénario fera immanquablement regretter le manque de prise de risque de
Horii. Notre héros, un jeune garçon vivant dans un village paisible, verra son
destin bouleversé à mesure qu’il en apprendra plus sur ses origines et la
mystérieuse marque sur sa main, qui lui vaut d’être considéré comme l’Éclairé,
à la fois censé apporter la lumière et annoncer le retour du Mal sur la terre
d’Elrea. Traqué par les autorités du royaume, qui ne voient en lui que
l’engeance des Ténèbres, il rencontrera néanmoins de nombreux alliés prêts à le
rejoindre dans sa quête vers l’arbre de vie, l’Yggdrasil. Ce bref résumé
rappelle tant d’autres scénarii de RPG que ce fil rouge paraîtra bien fade
pendant une grande partie du jeu. Il n’en reste pas moins que l’attrait dans
l’écriture de DQ réside davantage dans le soin apporté aux histoires parallèles
qu’à la quête principale, et chaque ville parcourue viendra appuyer ce fait en
nous confrontant à des situations variées et nettement plus originales,
abordant des thématiques dans lesquelles chacun finira par se reconnaître. Puis
l’histoire principale, dans son dernier quart, sortira un peu de son schéma
trop prévisible pour tenter davantage et s’éloigner enfin des sentiers trop
balisés sur lesquels elle s’était engagée, tout en s’insérant dans la
mythologie de la saga.
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La troupe accompagnant
le Héros, en brossant tantôt le portrait d’une magicienne au caractère affirmé,
tantôt celui d’un voleur en quête de rédemption, donne un surplus d’âme
indéniable à l’aventure. C’était d’ailleurs le gros défaut de l’épisode IX, dont
les groupes créés de toute pièce par le joueur allaient de pair avec un gros
vide scénaristique sur les followers, pourtant un des points forts de la saga.
Ici le groupe de sept alliés permet d’explorer, à travers la situation
personnelle de chacun, un beau panel de situations et de backstories, en grande
partie doublés. Dragon Quest XI n’ambitionnant pas de réinventer l’eau chaude,
les classes de nos alliés restent dans le classique : mage, heal, voleur à
tendance DPS, tank, héros couteau suisse… La diversité est bien là, malgré un
ou deux personnages “doublon”. Chacun sera libre d’arranger son groupe comme il
l’entend pour l’adapter à sa façon de jouer, tout en restant parfaitement
viable. L’éventail de possibilités se voit élargi par les Hexagrammes, sortes d'arbres de compétences attribués
à chaque personnage, et dont chaque case renferme une amélioration. Charge au
joueur de privilégier telle ou telle maîtrise, afin de modeler son groupe avec
davantage de précision que par le passé. Cette réelle emprise sur son équipe
permet plus de fantaisie qu’auparavant : Dragon Quest VIII proposait quatre personnages
aux classes relativement figées, tandis que DQ XI en a le double, et qu’ils
sont plus malléables.
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Il n’en reste pas
moins qu’avec ses combats au tour par tour d’un classicisme absolu à peine
relevé par la possibilité de lancer des attaques combo quand deux personnages
se décident à passer simultanément en état hypertonique, ce nouveau Dragon
Quest manque d’idées nouvelles venant
l’ancrer dans le présent du J-RPG. Tout ceci est volontaire et démontre le
caractère sacré d’une licence à qui ces choix ne portent nullement préjudice,
mais n’y a-t-il pas un risque que le public ne finisse par réclamer davantage
d’audace ? Comme un symbole de cette frilosité, la bande-son de Sugiyama ne
sort jamais de sa zone de confort et pourrait être intervertie avec beaucoup
d’anciens épisodes (d’autant que quelques redites n’arrangent pas ce constant
sentiment de déjà-entendu). Sa qualité intrinsèque n’est toutefois pas à
remettre en question, certains morceaux faisant vraiment mouche. La critique
sur le classicisme assumé de la série étant récurrente, nous n’en jetterons pas
plus afin de mieux nous concentrer à présent sur les petits ajouts visant à
améliorer cette recette bien connue.
TOUT ESPOIR N’EST PAS
PERDU
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Ce n’est que par
petites touches que s’expriment les idées nouvelles de Dragon Quest XI, mais
chacune est suffisamment significative pour que le joueur en ressente tout
l’intérêt. Tout d’abord, la navigation sur la worldmap est rendue plus agréable
et moins monotone par l’introduction d’une touche de sprint ou d’une monture,
ainsi que par diverses actions contextuelles donnant à nos déambulations les
atours d’une vraie aventure. Se hisser à une liane, longer une paroi, cela n’a
l’air de rien mais permet de créer des décors crédibles aux reliefs et cahots
plus marqués. La présence de campements au coeur des régions sauvages vient
également aider le joueur, dans un opus déjà marqué par sa simplicité. Plus
besoin de faire escale en ville, de l’église au marchand, tout est toujours à
portée de main ! Enfin, pour les férus de craft, la transforge vient remplacer
l’alchimarmite et permet de fabriquer, via un mini-jeu peu inspiré, toutes
sortes d’équipements dont la qualité dépendra en partie de votre habileté. En combat, il est désormais possible de déplacer son personnage sur le champ de bataille, une option dont on profitera quelques heures avant de l'oublier car elle ne revêt aucun intérêt tactique.
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Comme annoncé plus
haut, l’autre point sur lequel Dragon Quest XI ose est son déroulé, partant
d’un schéma classique pour finalement faire le pari d’un peu de fraîcheur. Sans
spoiler plus que de raison, en retiendra que la séparation fortuite du groupe du
Héros vers la moitié du jeu, et son remodelage progressif, obligera le joueur à
sortir de sa zone de confort et à maîtriser des configurations inédites, voire
à redécouvrir certains personnages. Ceci constitue un challenge intéressant et
est amené de belle manière, la reconquête de chaque membre de l’équipe
entraînant des enjeux plus forts. Apprendre à bien utiliser son équipe sera
d’autant plus important que les affrontements contre les boss sont à la fois fréquents et
dignes de ce nom, certains d’entre eux pouvant changer radicalement la
physionomie d’un combat. Le dénommé Glydora, par exemple, pourra changer les membres de l'équipe en statue d'or pur, invulnérables mais inutilisables. En de plus rares occasions, deux boss iront jusqu’à
s’enchaîner sans répit et mettront votre team building à rude épreuve. Aucun
d’entre eux ne restera inaccessible bien longtemps, une ou deux heures de leveling
sur les monstres de la zone suffisant à revenir prêts à les débiter en quelques
tours… à moins que vous ne tombiez sur des gluants de métal gorgés d’XP, une
tradition de la série. Mention spéciale au true last boss, au niveau bien
retors et qui conclut un post-end game jusqu’ici irréprochable par une dizaine
d’heures de farming idiotes, indispensables pour pouvoir lui tenir tête. Le
seul couac dans le rythme d’une aventure sans vrai temps mort.
DRAGON QUEST VIII.V
Dans l’ensemble, ce
Dragon Quest XI est effectivement une fort belle épopée, riche en moments
forts, en rebondissements et servie par des personnages que l’on apprécie sans
mal. D’un contenu plutôt généreux (70h sans tout avoir vu, dans mon cas), beau
à en pleurer tant par ses couleurs éclatantes que par le design de son univers,
cette nouvelle itération de la série star de Square Enix ne déçoit pas et
s’inscrit sans mal parmi les plus belles pages de la licence. Il suffit
cependant de gratter un peu sous ce beau maquillage, ou tout simplement d’avoir
un passif avec la série, pour s’apercevoir qu’une nouvelle fois, Dragon Quest
se complaît dans ce qui a fait sa renommée, sans vraiment chercher à apporter
de sang neuf. On saluera néanmoins ses trop rares éclairs d’originalité, sans
bouder notre plaisir en arpentant cet univers de fantasy à nul autre pareil.
Bien trop de points le rapprochent malgré tout du mémorable huitième épisode
pour voir en DQ XI le nouveau souffle de la saga : assumant cet héritage en
allant jusqu’à offrir la tenue du héros de Trodain au joueur, Dragon Quest XI
perd une occasion de s’en détacher... et de faire taire les mauvaises langues
par la même occasion.
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