Lorsque
les scientifiques se heurtent à des difficultés que ni leurs équipes ni leurs
machines ne sauraient résoudre efficacement tant le nombre de tests à réaliser
est grand, il arrive qu’ils s’en remettent à une population moins calée mais
suffisamment nombreuse pour faire avancer les choses. On parle alors de citizen
science, ou science participative, qui implique Monsieur tout-le-monde dans le
but de faire émerger les solutions les plus prometteuses obtenues à partir
d’applications simples, parfois ludiques.
Nous en avons déjà discuté sur ce
blog avec l’exemple du puzzle-game de repliement protéique Foldit et de son mode de jeu dédié à CRISPR-Cas9, qui se voit une
nouvelle fois mis sur le devant de la scène avec l’introduction de niveaux
consacrés au SARS-Cov-2 dans le cadre de la pandémie de Covid-19. La science
participative vient de trouver un nouvel ambassadeur en la personne de Borderlands 3 (Gearbox Software, 2019)
et d’un mini-jeu annoncé tout récemment. C’est l’occasion pour nous de
décortiquer le principe de ce nouveau venu, qui vise à aider la recherche sur
le microbiote intestinal, sujet extrêmement porteur depuis un peu plus d’une
décennie et sur lequel un peu de contexte est de rigueur.
Le
microbiote intestinal regroupe l’ensemble des micro-organismes résidant dans
notre système digestif, bien que la plupart des recherches se penchent avant
tout sur les bactéries. Ces bactéries sont au moins aussi nombreuses que nous
avons de cellules dans tout notre corps, et représentent à elles seules une masse
d’un kilogramme. Cette population propre à chacun et presque aussi unique que
nos empreintes digitales est étroitement liée à notre mode de vie, notamment
notre alimentation, par laquelle nous pouvons favoriser telle ou telle
population bactérienne. Un microbiote à l’état d’équilibre apportera des
bénéfices à son hôte (on parlera alors d’eubiose), tandis qu’une rupture de cet
équilibre, ou dysbiose, ira de pair avec diverses afflictions : obésité,
maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI, telle la maladie de
Crohn), cancer, mais aussi probablement avec les comportements autistiques et la maladie
d’Alzheimer. L’étude du microbiote et de ses dysbioses revêt donc un rôle de
plus en plus important en médecine, car il permettrait d’affiner le diagnostic
ou encore d’aider à sélectionner un traitement approprié. Sachez également que
le microbiote sain à lui seul est un médicament, puisqu’il est utilisé dans le
cadre de transplantations fécales pour soigner plus efficacement que tout autre
traitement les infections à Clostridium
difficile.
L’étude
du microbiote intestinal passe par la récupération des populations bactériennes
du côlon en collectant les selles des patients, desquelles on peut ensuite
extraire l’ADN de l’ensemble des bactéries en présence. Croyez-moi sur parole,
cette étape est bien plus fun qu’elle n’en a l’air ! L’identification des
bactéries en présence passe par le séquençage de l’ARNr 16S, une région
hautement conservée dont les parties variables permettent de reconnaître telle
ou telle espèce. Étant donnée la masse de données présentes dans à peine un
gramme de selles, une méthode à haut débit est indispensable. Le séquençage
“shotgun” y pourvoit en fragmentant l’ADN total en plusieurs petits fragments
plus rapides à séquencer, avant de reconstituer les séquences obtenues pour
donner un génome entier analysable par la suite. Cette succession de A, de T,
de G et de C est un matériau brut à partir duquel sont ensuite menée toutes
sortes d’études. Il est par exemple possible de chercher à comprendre quelles
interactions lient ces bactéries entre elles, quels sont leurs points communs
ou leurs différences. Le grand nombre de corrélations possibles rend la tâche
ardue et c’est là qu’intervient un allié insoupçonné : le jeu vidéo.
Le
microbiote et le jeu vidéo, bien qu’ils n’aient rien à voir au premier abord
(aucune étude ne s’étant penchée sur l’impact du gaming sur nos bactéries
iléales), sont peut-être sur le point de vivre un mariage heureux. Borderlands 3 vient en effet de se
doter d’un mini-jeu de science participative, visant à aider la recherche sur
le microbiote à surmonter les obstacles cités ci-dessus. Développé par la
société DNA Puzzles implantée à l’Université McGill au Canada, et en
partenariat avec The Microsetta Initiative, un projet de banque de données
issues du microbiote d’une vaste population de volontaires, Borderlands Science, ou Science Intergalactique dans la langue
de René Joly, est implanté dans une borne d’arcade accessible in-game. Il s’agit d’un puzzle game
confrontant le joueur à une grille sur laquelle figurent quatre types de
carrés, représentant les quatre nucléotides de l’ADN bactérien. Le but est de
parvenir à aligner les formes identiques en un certain nombre de coups. Ici, et
contrairement à Foldit ou à d’autres expériences de science participative, rien
ne semble rapprocher le jeu de son propos scientifique. Il n’est pas question
de montrer aux joueurs la réalité des séquences ni de parler d’espèces
bactériennes, Borderlands Science a tout simplement la forme d’un minigame
classique et capable d’inspirer (et motiver) le plus grand nombre. Quelques
récompenses in-game sont annoncées,
ce qui ne manquera pas d’ajouter à l’attrait de la borne.
Quelles données ce jeu produira-t-il pour aider la
recherche ? Selon DNA Puzzles,
ces manipulations permettront de mettre en évidence des similarités entre les
micro-organismes, et de développer une logique d’alignement qui pourra être
reprise par la suite. Une intelligence artificielle apprend des données de
chaque partie pour faire ressortir des patterns d’analyse novateurs avant de
les transmettre aux chercheurs. Les meilleures pistes de réflexion pourront
peut-être déboucher sur de nouvelles découvertes, l’objectif annoncé étant de
faire progresser les connaissances sur le rôle du microbiote en tant qu’outil diagnostique et de guide
vers des traitements personnalisés, adaptés au microbiote du patient.
L’importance de notre flore intestinale grandit un peu plus à chaque étude
publiée, il est donc intéressant d’impliquer directement les joueurs à faire
des découvertes ayant un impact probable sur leur propre santé.
Dans
l’idée, inclure une expérience de science participative au coeur même d’un jeu
vidéo apparaît comme assez malin. Plus besoin d’aller chercher des serious
games austères et peu mis en avant hors des sphères scientifiques, ici tout est
proposé au joueur au sein d’un jeu grand public qu’il fréquente déjà.
L’habillage rend l’ensemble suffisamment séduisant pour que le joueur s’adonne
à quelques parties qui, multipliées par la communauté totale du jeu, pourront
représenter une masse de données intéressante. Il est malgré tout regrettable
que le mini-jeu ne soit implanté que maintenant, six mois après la sortie du
jeu et la désertion inévitable d’une partie des Chasseurs, et qu’il ne soit pas
-encore- jouable en stand-alone par ceux qui n’auraient pas acheté le dernier
bébé de Gearbox, et qui souhaiteraient malgré tout apporter leur pierre à
l’édifice. Dans un futur proche, qui sait ?
Pour aller plus loin sur le microbiote intestinal
:
Le charme discret de l’intestin de G. Enders, vulgarisation à l’extrême mais
porte d’entrée sympathique
Le microbiote intestinal, un organe à part entière de P. Marteau et J. Doré, ouvrage scientifique
très complet
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