Jeu vidéo et Biologie - Stickology

- la Science du Jeu Vidéo, par Aurionis

Killer Feature #2 : Batman et le Bat-em up














Avec sa série des Batman Arkham, initiée en 2009 par Arkham Asylum, Rocksteady a ouvert la voie à une nouvelle ère de beat’em up en 3D. Son système de combat a depuis été repris dans bon nombre de jeux, dont l’Ombre du Mordor (sur lequel portait, rappelez-vous, le premier Killer Feature), et il n’est plus rare d’entendre ici et là qu’un jeu propose des combats “à la Batman”. Dans ce nouveau Killer Feature, nous allons donc essayer de décortiquer ce fameux “système de combat à la Batman”, dont le nom officiel est le Free Flow, et que je me permettrai d’appeler plus souvent dans les lignes qui suivent la Bat-Bagarre, ou encore le Bat’em up.



Le Free Flow est donc un système de castagne rapprochée, dans lequel le héros est généralement encerclé par un groupe d’ennemis vindicatifs. Qu’ils soient cinq, dix ou vingt, le principe reste le même : les neutraliser à grands coups dans la bouche en utilisant la touche d’attaque classique. L’un après l'autre, ou parfois de façon plus synchronisée, ils tenteront de porter une attaque qu’il sera possible de parer en appuyant sur la touche dédiée au bon moment, matérialisé par un petit symbole au-dessus de leur tête. Il s’agit ensuite de combiner correctement ces deux mouvements pour que la castagne se déroule devant nous, comme une danse brutale parfois agrémentée d’une troisième possibilité, celle d'étourdir un ennemi grâce à une troisième touche, puis de l’enchaîner tant qu’il voit des étoiles. Il sera de bon ton de lui asséner un coup final une fois au sol pour le mettre définitivement hors d’état de nuire, faute de quoi il se relèvera pour rejoindre la bataille. Pour compléter la panoplie de mouvements, une esquive (roulade, saut de côté) saura se révéler utile en cas d’encerclement. Les gadgets du Dark Knight sont évidemment de la partie, et permettent de varier quelque peu notre approche, mais le coeur du Bat’em up est là, contenu dans ces quatre touches. 

Ce système est un équilibre complexe, qui repose sur les ennemis. Pourquoi sont-ils là (dans le jeu) ? À quel degré de menace doit s’adapter le système de combat ? Nous voulons que cette menace à laquelle Batman fait face semble toujours plus importante, et cela influe sur le design du jeu.
Dax Ginn,  marketing producer chez Rocksteady, à propos de l’évolution des combats dans Arkham City (introduction des parades contre deux ennemis à la fois, environnement plus ouvert permettant plus d'approches différentes…)


Ocarina of Time et son Z-targeting
Ce système élégant permettant mille et une animations classieuses n’est évidemment pas sorti comme par magie du Bat-chapeau de Rocksteady, mais résulte de la longue évolution des face-à-face en 3D. Dans ce domaine, le premier vrai gap est apparu dans une petite production peu connue du grand public : the Legend of Zelda, Ocarina of Time (1998). Nintendo y introduisait le Z-targeting, autrement dit la capacité de cibler d’une pression sur le bouton Z de la manette N64 n’importe quel ennemi ou objet auquel Link faisait face. Les affrontements gagnaient alors en précision et en dynamisme, quand les adversaires devenaient plus nombreux. Ce système s’est depuis largement banalisé, et on en retrouve encore l’héritage dans le système de baston des titres les plus récents, à l’instar de GTA V. Le Bat’em up constituerait-il l’évolution naturelle du Z-targeting ? 

Path of Neo : un précurseur ?
Un soupçon d’archéologie vidéoludique permet d’exhumer des fossiles du Bat’em up dans des productions qui ont précédé Arkham Asylum. On en trouve une forme embryonnaire, plus brouillonne et basée sur des combos peu intuitifs, dans True Crime : Streets of LA (2003). Les combats à mains nues contre un groupe d’ennemis y trouvent un joli représentant, mais la ressemblance avec notre sujet du jour s’arrête ici. À titre personnel, le premier véritable exemple qui me vient à l’esprit est the Matrix : Path of Neo (en test ici), pas mémorable mais plein de bonne volonté. Pour un jeu de 2005, il osait proposer un système de combat rapproché ambitieux, bêtement rendu compliqué par des combos pénibles à sortir, mais qui possédait déjà un certain nombre de caractéristiques citées plus haut : un coup simple, une esquive, et la possibilité de passer d’un ennemi à l’autre de façon très souple sans avoir recours au Z-targeting. Le mémorable affrontement contre des centaines d’agents Smith en est une belle illustration, et démontrait déjà tout le potentiel de ce système en termes de chorégraphie.
 
Car c’est l’un des avantages de ce système de combat : coïncidant avec la démocratisation du MoCap dans le domaine des jeux vidéo, il permet de retranscrire des mouvements réalistes, variés et spectaculaires faisant de chaque combat un ballet mortel extrêmement stylisé et agréable à contempler. Dans le cas de Batman, puisque le Chevalier Noir a suivi un entraînement physique intense, les nombreux arts martiaux qu’il maîtrise sont ainsi représentés. Le joueur n’ayant pas à passer son temps à chercher une combinaison de touches compliquée pour sortir des enchaînement spectaculaires, il en ressort une satisfaction immédiate. Il s’agit là d’un facteur important car le joueur se sent constamment récompensé, et peut être motivé à poursuivre sa partie encore et encore dans le but de découvrir, pourquoi pas, des mouvements qu’il n’avait pas encore vus (une sorte de Bat-carotte).

L’autre gros point fort du Bat’em up, outre cette mise en scène énergique, est qu’il implique constamment la personne qui tient la manette. Qu’il s’agisse de donner des coups, d’en esquiver, de changer de direction, il n’y a que très peu de temps morts. On évite ainsi les situations où l’on attend bêtement qu’un adversaire se dévoue pour nous charger tandis que les autres se tiennent en cercle sans réagir, et qui cassent le rythme d’un affrontement (oui c’est toi qu’on regarde, Assassin’s Creed !). Ici, les attaques fusent de tous côtés et demandent avant tout de la coordination, impliquant des réflexes qui relèvent davantage du rythm game que du versus fighting. Il ne sera pas rare d’avoir à reprendre ses esprits après une séquence de combat particulièrement âpre, signe que l’on se sent réellement mis à contribution et que ce sont nos actions parfaitement maîtrisées qui ont permis notre succès.


Graphique, gratifiant, énergique, impliquant le joueur… Avec toutes ces qualités, pas étonnant que le Bat’em up ait fait des émules. Un certain nombre de licences contemporaines de la trilogie Arkham (2009 à 2015) a pioché dans son système de combat, apportant ici et là un petit assaisonnement à une formule de base qui, elle, semble immuable. Pour les plus emblématiques, citons par exemple la série Assassin’s Creed, qui a introduit ce système dès l’épisode III (sorti en 2012), laissant derrière elle ses combats mollassons au profit d’un système de ralenti dès que l’on pare un coup, pour des enchaînement toujours aussi cinématographiques. La série La Terre du Milieu, initiée en 2014, deux épisodes au compteur, reprend quasiment telle quelle la Bat-bagarre en y ajoutant son gimmick de possession des adversaires, qui ne vous est plus étranger puisqu’il s’agissait de la première Killer Feature développée dans ces pages. Enfin, le bien trop mésestimé Sleeping Dogs (2012) basait lui aussi ses bastons de rue à la mode Hong-Kongaise sur l’enchaînement incessant des coups et des contres. Un juste retour des choses pour celui que l’on a longtemps connu en tant que… True Crime : Hong Kong ! La boucle est bouclée.

Sleeping Dogs, l'élève appliqué

Les jeux Batman ont bien évidemment pour eux l’univers sombre du Dark Detective, mais ce pourquoi ils marquent manette en main, c’est forcément par ce mélange unique de combat et de jeu de rythme. Nous avons vu ici les principaux bénéfices de cette feature, ainsi que le nombre croissant de jeux majeurs venant lui emprunter ses bonnes idées. Tel le Z-targeting en son temps, le Bat’em up marque le mètre-étalon d’une génération de jeux en 3D, et si l’on se base sur l’hypothèse qu’un tel palier n’est franchi qu’une fois par décennie, la prochaine innovation majeure en la matière ne saurait tarder à montrer le bout de son nez… On se donne rendez-vous dans 10 ans pour discuter de tout ça ?


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