J’ai un kink. Rien de honteux, mais rien qui vaille la peine que je m’en
vante non plus. Depuis petit, j’ai une tendresse toute particulière pour les
jeux adaptés de films ou de séries. J’y ai toujours vu quelque chose
d’admirable, comme s’il s’agissait d’un délicat exercice de version pour tirer
un jeu vidéo d’une oeuvre pensée pour le cinéma ou la télévision. Et d’un autre
côté, cette tendresse ne me viendrait-elle pas d’un peu de pitié face à ces
titres qui font de leur mieux, mais qui ne valent souvent pas grand chose ?
Toujours est-il que mes jeunes années ont été bercées par ces adaptations, et
qu’il me semble qu’on en voit de moins en moins. Pourquoi le dernier Disney ne
fait-il plus systématiquement l’objet d’une adaptation sur toutes les
plate-formes du marché ? Pourquoi les Avengers cartonnent-ils au cinéma sans
être adaptés à tire-larigot ? Autant de questions auxquelles il va bien falloir
essayer de répondre dans les lignes qui suivent, sans quoi cet article serait
bien trop court. Remontons donc le temps, de quelques années en arrière…
*tilulu tilulu tilulu*
Kuzco mon amour |
Comme je l’évoquais, mon enfance a
été marquée au fer rouge par les adaptations que l’on m’offrait sur consoles. À
partir des années 90, des adaptations de licences connues, appréciées des
gamins et rassurantes pour les parents étaient monnaie courante et se faisaient
remarquer sans peine dans le calendrier des sorties. Le fait d’adapter un film
en jeu ne date clairement pas de cette époque (le fameux E.T. de 1983, les jeux
Ghostbusters…), mais j’ai comme l’impression d’avoir eu la chance d’en vivre le
pic, la période faste. En matière d’adaptations, c’est bien évidemment Disney
qui dominait : en plein âge d’or, et alors que les consoles occupaient la
plupart des foyers, il semblait bien normal que les classiques animés d’alors
se voient portés. Parmi les plus évidents, Aladdin et le Roi Lion, que tout le
monde a un jour pu essayer chez soi ou chez un camarade de classe. Pour ma
part, j’arrive un poil plus tard et profite principalement des adaptations de
Hercule, Kuzco, La Route d’El Dorado et Chicken Run. Moins classiques que les
deux mastodontes cités plus haut, ils n’en sont pas moins représentatifs de la
façon de créer une adaptation à cette époque : des jeux peu innovants qui
s’appuient avant tout sur des gameplays bien rodés. Ainsi Kuzco se
présentait-il comme un platformer en 3D, El Dorado comme un point’n click
tandis que Chicken Run avait la bonne idée de proposer une infiltration de
volaille à la sauce Metal Gear Solid. Trois genres rois de la seconde moitié
des ninteties. La prise de risque était minime mais la qualité était bien là,
car ces titres n’avaient pas à rougir devant la concurrence. Plutôt complets et
se permettant à l’occasion quelques variations dans leur gameplay, ils
permettaient de prolonger joliment l’expérience du film… pour qui l’avait vu.
Car ces multiples adaptations, parfois différentes d’un support à l’autre,
n’étaient pas là que pour jouer le rôle de produit dérivé. L’autre intérêt est
évidemment d’en faire des outils promotionnels, destinés à rameuter des hordes
de gamins dans les salles obscures après avoir joué une heure à Atlantide chez
le petit Thomas, le fils de la voisine Madame Robert, mais si tu sais
celle-avec-la-Clio-verte-et-qui-a-toujours-une-clope-au-bec. Pour cela, la
stratégie est bien rodée : quelques morceaux de cinématiques tirées du long
métrage par-ci par là et hop, le jeu faisait office de bande-annonce jouable
pour qui n’avait pas encore vu le film. Cette dualité produit dérivé / produit
promotionnel rendait ces jeux
incontournables et assurait un bouche à oreille à nul autre pareil à l’époque
où bien peu de foyers étaient équipés d’internet.
Sacré Frodon. |
Les années qui suivirent se
montrèrent moins fastes à mes yeux, les adaptations étant parfois moins
soignées chez Disney. Je garde ainsi des souvenirs amers de Monstres et
Compagnie et de Lilo et Stitch sur PS2, nouvelle console visiblement difficile
à dompter. Peut-être était-ce l’âge qui me faisait me détourner de l’animation
traditionnelle ? Aussi me tournai-je vers les “vrais” films, et là encore les
adaptations étaient au rendez-vous. Un cataclysmique Men in Black (toujours sur
PS2), mais aussi de bonnes surprises. Les jeux tirés de la nouvelle trilogie
Star Wars, ou encore le Seigneur des Anneaux, avec ses transitions entre scènes
du film et modèles 3D assez troublantes, ont laissé de bons souvenirs.
Cependant, il devenait de plus en plus rare de trouver un bon jeu tiré d’un
film/série. Les jeux Disney montraient des signes de fatigue, et seules
d’énormes licences bénéficiaient d’adaptations correctes. Le déclin qui suivra
peut être étudié à travers le prisme d’une seule saga, étonnamment
représentative : Harry Potter.
Harry Potter et les adaptations
maudites
Des frissons. Toujours. |
J’ai été aspiré dans la Pottermania
au début des années 2000. J’en étais fou, et tout mon entourage pourra en
attester. Quel bonheur ce fut d’essayer les adaptations du premier épisode,
toutes différentes selon le support ! Un bon petit RPG sur GameBoy Color, de
l’aventure / plate-forme sur PS1 et PC, de la 3D iso sur GBA, et surtout une
qualité globale vraiment satisfaisante. Les deux premiers films ont amené avec
eux une flopée de jeux qui m’ont laissé d’impérissables souvenirs. Puis, les
années passant, les adaptations se sont montrées plus bancales, jusqu’à atteindre
sur les derniers épisodes des profondeurs de nullité abyssales et être
unanimement reconnus comme ratés de A à Z. Nous sommes alors à la fin des
années 2000, la nouvelle génération représentée par la XBox 360 et la PS3 est
là et semble encore plus difficile à maîtriser pour les studios chargés de les
abreuver en adaptations. Gaps techniques ou contraintes temporelles trop
contraignantes pour sortir un produit fini ? Toujours est-il que l’une après
l’autre, les sorties ciné déclinées en jeu vidéo se cassent les dents malgré
un produit de départ idéal pour le support ludique : c’est l’arrivée d’un
nouvel âge, celui du MCU, des gros blockbusters de super héros, et tous les
jeux loupent le coche. Iron
Man ? Injouable. Jumper, avec Hayden “Anakin” Christensen ? Hideux. Green
Lantern, Superman Returns ? Passés inaperçus. Ces échecs répétés ont
sans nul doute refroidi les studios, qui ont progressivement mis le hola sur
les adaptations, à tel point qu’à l’orée des années 2010, la frénésie d’antan
s’est transformée en indifférence polie. Thor sort ainsi en 2011 et ferait
presque office de résistant. C’est une cassure qualitative nette, face à
laquelle les adaptations des derniers Pixar tirent plutôt bien leur épingle du
jeu, sans rester dans les mémoires comme leurs glorieux prédécesseurs.
Difficile de douter que les enjeux économiques liés aux développement et à la
sortie d’un jeu complet en version physique ont été jugés trop importants pour
poursuivre le train des adaptations sous la forme qui a été la leur pendant
plus de vingt ans. Les temps ont changé, et le rôle à la fois ludique et
promotionnel des adaptations s’est estompé. À quoi bon mettre des millions dans
un jeu destiné à promouvoir un film quand tout le monde a désormais un accès à
internet, aux bandes-annonce et aux fiches des films ? Cette façon d’envisager
la promotion a fait son temps, et le jeu en tant que prolongement de
l’expérience cinématographique perd beaucoup de son intérêt aux yeux des
compagnies.
Bel essai de Rorsharch pour relever le niveau |
Pour limiter la casse économique et
vivre avec leur temps, quelques adaptations ont tâté le terrain de la vente
dématérialisée, qui gagnait du terrain sur consoles de salon au début des
années 2010. L’avantage pour les éditeurs était de se passer du support
physique et donc d’éviter les palettes d’invendus, tandis que les joueurs
pouvaient y trouver leur compte à l’achat, généralement moins onéreux qu’un jeu
en boîte. Parmi les adaptations sorties à cette époque, citons le
sympa-mais-sans-plus beat’em up Watchmen : the End is Nigh, ou encore le
catastrophique First Person Shooter Battle : Los Angeles, fidèle au film
d’origine en cela qu’il est tout bonnement affreux. On retrouve là encore
l’influence des hits de l’époque sur le choix du style des jeux, beat’em up et
FPS ayant gagné en popularité dans les années 2000. Ces tentatives plus ou
moins heureuses n’ont pas vraiment convaincu, aussi le train des adaptations
semble-t-il destiné à rester au garage… Vraiment ?
Une nouvelle façon d’aborder
l’adaptation
Le CAPITAINE Jack Sparrow |
Il est temps de répondre à la question
qui vaut son titre à cet article : aujourd’hui, où sont les adaptations ? On
l’a vu plus haut, la démocratisation de l’accès à internet a fait perdre aux
adaptations leur rôle promotionnel. Il reste cependant un public friand de
produits dérivés sur consoles, il faut donc pouvoir le satisfaire à moindre
coûts. C’est là qu’intervient l’acteur idéal, en la personne de Traveler’s
Tales, ou TT Games, un studio déjà responsable d’un certain nombre
d’adaptations dans les années 90. Chargé des conversions de Star Wars en
version LEGO depuis le début des années 2000, le savoir-faire du studio en
matière de jeux d’aventures sur lesquels il n’y a plus qu’à apposer le calque
d’une licence connue n’est plus à démontrer. Pirates des Caraïbes, Harry
Potter, Indiana Jones, Avengers, le Hobbit, Jurassic World, peu de blockbusters
de la dernière décennie ne sont pas passés à la moulinette LEGO par le biais du
studio. En alliant humour, gameplay correct et fan service en quantité, TT
Games est devenu le faiseur d’adaptations par excellence, et bien que les
résultats soient souvent redondants, il peut-être vu comme la solution de
sécurité. Plus besoin de concevoir un jeu de A à Z, ou de se tourner vers des
studios offrants des résultats bien différents d’un film à un autre : le studio
britannique semble avoir trouvé la recette qui marche et les décideurs s’y
cantonnent volontiers, trop heureux d’assurer un bon retour sur investissement.
Bien qu’on puisse regretter l’homogénéité un peu trop prononcée entre les
différentes productions du studio, force est de reconnaître que la qualité est
présente. Pour combien de temps, et quand cette recette va-t-elle lasser, cela
reste à voir...
Adaptation audacieuse pour Stranger Things |
Puisque les adaptations ont tout
intérêt à être présentes sur les supports de prédilection de leur époque, c’est
tout naturellement qu’elles investissent nos téléphones depuis le début des années
2010. Après tout, tout le monde ou presque en a un. On y retrouve évidemment
des titres faisant la part belle aux héros Disney, mais aussi un certain nombre
de stars des enfants comme les Minions, héros d’un jeu de type runner (encore
un genre dominant de son époque). Cette période étant plus que jamais celle des
séries, quelques succès sont portés sur mobile : Game of Thrones façon jeu de
stratégie, ou encore une surprenante revisite de Stranger Things toute de
pixels vêtue. Les stores regorgent de ces titres aux qualités variables, mais
qui assurent l’essentiel en permettant à tout un chacun de plonger dans
l'univers des films ou séries actuels… le tout étant le plus souvent free to
play, ce qui incite d’autant plus à se lancer. Cela peut paraître bête et
aigri, mais après tout, ne dit-on pas que si c’est gratuit, c’est que nous
sommes les produits ? Aux yeux de l’auteur de ces lignes, cette nouvelle vision
de l’adaptation perd malheureusement le charme désuet des productions des
années 90, et ne peut d’ailleurs pas en avoir la même durée de vie ni le degré
d’élaboration. On parle là de jeux taillés pour des sessions courtes, ne
demandant que peu d’investissement et vers lesquels on ne revient pas après
coup. L’inverse d’un bon vieux jeu physique sur Playstation, avec lequel on
aura plus tendance à créer un vrai lien.
Foutus millenials. Ils salissent tout. |
Dans cette atmosphère bien
différente de celle de notre jeunesse, quel peut être l’avenir de l’adaptation
vidéoludique ? Un premier élément de réponse, qui je l’avoue n’est pas pour me
rassurer, vient du traitement réservé à ce qui il y a vingt ans aurait été un
incroyable tour de force à adapter : la sortie cette année du blockbuster des
blockbusters, de l’aboutissement d’une saga qui n’a jamais révélé son plein
potentiel en jeu vidéo, j’ai nommé le dernier Avengers : Infinity War. Tout
aurait été envisageable concernant un jeu vidéo réunissant tous les héros du
MCU, tous les styles auraient pu fonctionner et surtout, tout se serait vendu
d’un claquement de doigts parce qu’on parle là du plus gros carton jamais vu en
la matière. Aucun jeu n’est venu appuyer la sortie du film. En revanche,
histoire d’assurer un minimum de présence sur le terrain, on a pu voir quelques
bribes d’Avengers et de Thanos dans un jeu qui, comme le veut la tradition, et
présent sur les supports phares de son époque et est devenu le genre
incontournable de son temps : Fortnite, Battle Royale (ugh). La seule évocation
en jeu vidéo des Avengers repose donc sur quelques skins et un mode de jeu
faisant la part belle à l’antagoniste du film et aux Infinity Stones. Walou. Ce
petit partenariat a évidemment excité les fans du jeu, mais ne pouvait-on pas
s’attendre à un meilleur traitement pour la licence la plus rentable de la
dernière décennie ? Ma grande crainte à l’heure actuelle est que les studios
choisissent de ne plus prendre le moindre risque et de n’assurer la promotion
en jeu vidéo de leur dernier film que via quelques partenariats de la sorte sur
des jeux à la fanbase bien ancrée. Cela serait vraiment dommage, et indigne des
émotions qu’ont pu nous apporter les adaptations mémorables de notre enfance
qui, avec leurs petits défauts, se révélaient pourtant éminemment plus
attachantes que ce qui est proposé actuellement.
Épilogue et espoirs
Plus récemment, lors du dernier E3,
Marvel a annoncé vouloir plancher sérieusement sur le pendant vidéoludique sa
licence phare, et les noms de grands studios de jeu vidéo sont évoqués :
Crystal Dynamics et Eidos Montréal. S’agira-t-il d’un jeu exploitant simplement
la licence ou d’une véritable adaptation des films à venir, sujet qui nous a
intéressé tout au long de cet article ? L’avenir nous le dira, mais le meilleur
des scénarii serait le second, afin de redonner l’impulsion nécessaire et
prouver que non, les adaptations de qualité ne sont pas mortes. D’autres films,
d’autres séries s’engouffreraient alors dans cette hype, et ce serait le nouvel
âge d’or des adaptations. Ou alors celui que l'on ne connaît pour l'instant qu'en tant que “Avengers Project” ne sera qu’un
pet foireux qui condamnera à jamais le genre, et me laissera avec mes souvenirs
de gosse ébahi devant Kuzco et El Dorado. Après tout, ça ne serait peut-être
pas si mal.
Please don't suck. |
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