Jeu vidéo et Biologie - Stickology

- la Science du Jeu Vidéo, par Aurionis



 

Connaissez-vous Red Dead Redemption 2, ce jeu confidentiel aux quelques 50 millions de copies écoulées ? Si vous n’êtes pas familier des aventures d’Arthur Morgan, il est encore temps de vous rattraper grâce au test disponible ici même. Pour les autres, nul besoin de vous présenter en détail cette fresque dans l’Ouest lointain, aux chevauchées épiques entre cow-boys bagarreurs et aux environnements sublimes, si propices aux rencontres inattendues et au roleplay. Oui, tout a déjà été dit sur l’une des grandes oeuvres de Rockstar, de ses personnages phares jusqu’aux plus petits détails anatomiques de leurs montures, aussi n’allons-nous pas reprendre les grandes lignes de ce qui fait de RDR2 un classique de la précédente génération de consoles. Dans cette série d’articles, nous préférons d’ailleurs chercher la petite bête, ce qui tombe à pic car le jeu dont il est question aujourd’hui inclut à sa faune, déjà hétéroclite, un micro-organisme au rôle prépondérant au temps du Far-West. Spoiler alert, notre client du jour est intelligemment incorporé à l’histoire du personnage principal, à tel point que la lecture de ce qui suit risque bien de vous divulgâcher un sacré pan du scénario. Vous voilà avertis !

 

Red Dead Redemption 2 nous permet d’incarner Arthur Morgan, un cow-boy un brin bourru dans l’Amérique de 1899. Ses mécaniques de GTA-like, désormais bien connues, nous permettent d’arpenter librement les grandes étendues des plaines sauvages, et de remplir différentes missions afin de faire progresser le scénario. Parmi celles-ci, Arthur sera amené à prendre part à des fusillades, à des attaques de train et à des beuveries viriles au saloon local, mais il sera aussi amené à collecter des dettes pour le compte de créanciers impatients. C’est au cours d’une de ces missions de collecte qu’il fera la rencontre de Thomas Downes, un homme visiblement malade, incapable de rembourser l’argent qu’il doit, qu’Arthur n’hésite pas à rudoyer malgré les tentatives d’apaisement d’Edith, la femme du malheureux. Downes, le visage ensanglanté, tousse alors au visage de son bourreau. Arthur ne le sait pas encore, mais cette rencontre vient de sceller son destin. Comme pour avertir le joueur et son avatar que la situation va rapidement empirer, quand Arthur fait escale au domicile des Downes quelques semaines plus tard, Edith lui apprend que Thomas est décédé de cette maladie pas encore nommée, mais à l’apparition désormais inéluctable.

 


Peu de temps après, lors d’un déplacement a priori anodin dans la grande ville de Saint-Denis, une scène clé de Red Dead Redemption 2 se lance sans crier gare. Première vraie irruption de la microbiologie dans le jeu, et donc dans cet article, cette scène mérite une brève analyse ainsi qu’une contextualisation. Pris de vertiges et d’une toux dont il n’arrive pas à se défaire, Arthur descend de son cheval et perd connaissance dans la rue. Pris en charge par un bon samaritain lui indiquant le cabinet du médecin le plus proche, notre héros si robuste jusqu’ici avance péniblement, chancelle et tousse du sang, comme le montre la vue subjective qui nous est alors imposée. Un passage à la première personne au cours duquel se ressentent de façon directe les maux d’Arthur, dont la vision se trouble et que chaque pas semble épuiser davantage. Au bout d’une cinquantaine de mètres que l’on devine pénibles à parcourir, Arthur rencontre le Dr Barnes, un personnage que les joueurs auront déjà pu rencontrer au détour d’une quête facultative qui le montre procéder à l’amputation d’un bras. D’un ton grave, Barnes demande à Arthur de décrire ses symptômes. Celui-ci évoque alors sa toux sanglante, un indice très clair aux yeux du médecin, qui se saisit de son stéthoscope. Une rapide auscultation pulmonaire lui permet un diagnostic immédiat, implacable : Arthur souffre de la tuberculose. Il faut dire que depuis sa création en 1816 par le français Laennec, le stéthoscope fait office d’instrument de prédilection pour diagnostiquer cette infection bactérienne courante à l’époque. Seule la découverte des rayons X, deux décennies après l’action de RDR2, viendra renforcer les outils de diagnostic de la tuberculose. Barnes, en médecin aguerri et bien équipé, est capable d’identifier sans difficulté les formes pulmonaires de la maladie.

 

La bactérie responsable de la tuberculose pulmonaire, longtemps méconnue bien que la maladie ait été décrite depuis plusieurs siècles, a été découverte en 1882 par Robert Koch et porte le nom de Mycobacterium tuberculosis, ou bacille de Koch (BK)1. Cette découverte vaudra à Koch, personnage indissociable du développement de la bactériologie, le prix Nobel en 1905. Loin d’avoir été éradiquée depuis, la tuberculose touche toujours des millions de personnes à travers le monde, avec une incidence de 134 pour 100000 en 20212 et de fortes disparités entre les pays développés d’une part et les pays en voie de développement de l’autre. Mycobacterium tuberculosis est donc un bacille, autrement dit une bactérie en forme de bâtonnet, capable de se transmettre par voie aérienne comme c’est vraisemblablement le cas pour Arthur, sur qui Downes a toussé tandis qu’il se faisait rosser. En atteignant les voies respiratoires de la personne contaminée, la bactérie provoque des lésions pulmonaires et forme des tubercules lui permettant de se propager au reste du corps, entraînant des complications pouvant mener au décès si aucun traitement n’est proposé à temps.

 


 

Le Dr Barnes comprend donc immédiatement à quel point l’état d’Arthur est grave, et lui confirme par un simple “je suis désolé” que sa situation n’ira pas en s’améliorant : face à cette maladie contre laquelle il n’y a aucune cure efficace, il le sait condamné. La seule solution à ses yeux serait qu’Arthur prenne du repos dans un endroit chaud et au sec, ce que sa vie de vagabond ne lui permet évidemment pas. Cette proposition d’intégrer un sanatorium, faite à demi-mot, est tout à fait cohérente avec les pratiques de la fin du XIXe siècle. Un séjour dans ces établissements lumineux, au calme et exposés à l’air frais des montagnes ou du bord de mer, était souvent recommandé aux tuberculeux, scrofuleux et autres phtisiques3. Les théories hygiénistes de l’époque faisaient la part belle aux grandes bâtisses laissant entrer la lumière, à une période où les habitats des classes populaires, sombres et peu aérés, faisaient de par leur promiscuité un parfait nid à germes… dont le bacille de Koch. Si bien peu de guérisons miraculeuses pouvaient être attribuées aux sanatoriums fleurissant un peu partout, ces espaces sains où l’on mangeait correctement en s’octroyant du repos pouvaient aider le système immunitaire à lutter contre l’infection. Des vertus qui leur vaudront un succès certain pendant plusieurs décennies, un décret français de 1919 obligeant même chaque département à avoir le sien. 

 

Faute de mieux, la tuberculose a donc été traitée ainsi jusqu’au début des années 1940, quand la découverte de la streptomycine est venue révolutionner le traitement de la maladie. Dès 1943, un an après la découverte de l’antibiotique, un premier tuberculeux guérissait de la maladie. Les années suivantes voient la streptomycine devenir le principal traitement contre la tuberculose, et les sanatoriums devenir obsolètes : ils ferment progressivement dans la seconde moitié du XXe siècle, pour le plus grand bonheur des amateurs d’urbex du siècle suivant, toujours prêts à venir explorer les ruines de ces lieux chargés d’histoires sordides. Une bien étrange concomitance détaillée sur le graphique ci-dessous (source : tkt).

 

 

Mais revenons au cas d’Arthur Morgan, un peu sonné par ce diagnostic funeste. Après une injection de stéroïdes destinée à le remettre d’aplomb, celui-ci quitte le cabinet. La scène se termine par une longue déambulation dans les rues, notre héros prenant conscience du peu de temps qu’il lui reste à vivre. Dans son esprit semble s’opérer un revirement matérialisé par cette vision d’un cerf, qui se rappellera à nous à la toute fin du jeu si Arthur fait en sorte de restaurer son honneur. Car c’est décidé : il mettra ses dernières forces à devenir quelqu’un de meilleur, et les derniers chapitres du jeu le montreront évoluer, tentant de faire la part des choses entre le bien et le mal. C’est suite à l’apparition de la tuberculose qu’Arthur entame sa rédemption, qui donne son titre au jeu. Si son corps est de plus en plus marqué par la maladie et amaigri, deux conséquences bien réelles de la tuberculose que RDR2 reproduit à dessein, son état d’esprit change et invite par la même occasion le joueur à faire des choix. L’inévitable trépas d’Arthur sera ainsi modifié en fonction des actes commis, allant d’une fin apaisée à une mort brutale, ou plus métaphoriquement du retour du cerf à l’apparition d’un loup.

 

Si Red Dead Redemption 2 regorge de moments de grand spectacle, cette scène dans laquelle l’ennemi microbien, invisible, se révèle, fait peut-être office de point de bascule, tant par le rôle qu’elle joue pour la suite que par sa mise en scène venant appuyer l’importance du moment. Elle commence sans prévenir, et nous voit perdre le contrôle d’Arthur, qui ne réagit plus à nos commandes, comme si lui-même perdait la maîtrise de son corps. Comme si la maladie avait déjà pris le dessus. Sa déambulation maladroite vers le cabinet du Dr Barnes, vue à la première personne, détonne : elle nous plonge comme jamais auparavant dans l’esprit d’Arthur, et montre un héros jusqu’ici inflexible en position délicate. Par ce gameplay tantôt incontrôlable, tantôt entrecoupé de toux scriptées, Rockstar fait de la maladie du héros le principal obstacle à notre comportement de joueur, comme un signal que la tuberculose, loin de n’être qu’un point de scénario, fait office de réelle menace pesant sur notre avatar, et par extension sur notre façon d'appréhender le jeu. Simple désir d’immersion, ou réel message venant conditionner les actes futurs du joueur ? Toujours est-il que les choses semblent très différentes avant et après cette séquence, dont la mise en scène couplée à une représentation fidèle de ce qu’était l’infection par Mycobacterium tuberculosis à l’époque, font l’un des moments marquants de Red Dead Redemption 2. Y compris pour le joueur biologiste.

 

Une bibliographie succinte :

1.         Natarajan, A., Beena, P. M., Devnikar, A. V. & Mali, S. A systemic review on tuberculosis. Indian J. Tuberc. 67, 295–311 (2020).

2.         Global tuberculosis report 2021. https://www.who.int/publications-detail-redirect/9789240037021.

3.         Pezzella, A. T. History of Pulmonary Tuberculosis. Thorac. Surg. Clin. 29, 1–17 (2019).

 

 





Elles sont présentes partout, ou presque. Dans notre environnement, notre alimentation, ou encore au sein même de notre corps. Il paraît même que c’est grâce à elles que la vie s’est développée sur Terre. Petites mais robustes, parfois capables de survivre dans les environnements les plus inhospitaliers, les bactéries ont pour ainsi dire toujours été là, à réguler discrètement le fonctionnement de notre monde et de ses habitants, telle une microscopique société secrète, dont on n’a pu découvrir les membres les plus éminents qu’au cours des tout derniers siècles. Ces organismes de quelques micromètres à peine ont des rôles et des apparences tellement variés qu’il serait tout bonnement impossible d’en faire le tour ici. Après tout, ce n’est qu’un blog qui parle de jeu vidéo ! 

 

 

Vous pourriez trouver que le rapprochement que nous allons faire entre les bactéries et le jeu vidéo n’a rien de très naturel, mais il suffirait en réalité de regarder l’état de votre manette de jeu préférée au microscope pour vous rendre compte que les deux univers sont capables d’une coexistence toute en harmonie, bien loin finalement des représentations qui en sont faites dans la plupart des jeux dans lesquels on les retrouve. Il faut dire que ces microbes, facilement taxés de “germes”, ont longtemps eu le mauvais rôle : la peste, la salmonellose, le choléra, la légionellose, la tuberculose et tant d’autres maladies sont bel et bien causées par des bactéries, que les théories hygiénistes apparues avec les avancées de la médecine dès le XVIIIème siècle ont voulu nous faire éliminer à tout prix. Ces siècles de progrès, à mesure qu’ils amélioraient la santé des hommes, faisaient des microbes nos ennemis jurés, à tort ou à raison. De plus, le public a été durablement marqué par l’utilisation de bactéries à des fins criminelles, comme la célèbre affaire des lettres piégées à l’anthrax (la bactérie Bacillus anthracis) aux États-Unis en 2001, en pleine psychose post 11-septembre. Quelques années auparavant, la secte japonaise Aum Shinrikyo avait également utilisé des bactéries (la toxine botulique Clostridium botulinum, et l’agent de la fièvre Q, Coxiella burnetii) lors de tentatives d’attaques bioterroristes. Si les dernières décennies ont permis de redorer l’image de certaines “bonnes” bactéries, de celles que l’on retrouve par exemple en tant que probiotiques dans les yaourts, ou en compléments alimentaires, on ne sera donc pas étonné que la majorité des jeux vidéo qui représentent des bactéries choisissent d’en faire des nuisances plutôt que des alliées.


Andromeda, 1982

Qu’apporte alors la représentation des bactéries, ou les maladies auxquelles elles sont associées, dans un jeu vidéo ? Pour les raisons évoquées ci-dessus, les bactéries font office d’ennemi idéal, un ennemi vivant mais pas humain qui semble donc facile à assimiler comme destructible, et qui constitue un setting propice à des aventures à l’intérieur du corps, dont l’inspiration la plus évidente est Le Voyage Fantastique, un film de 1966 pionnier du genre. C’est par exemple le cas de Bacteria (Net-games, 2001), un shooter nous mettant aux prises avec les pathogènes présents dans le corps humain. Andromeda (Gebelli Software, 1982) fait le choix opposé en laissant le joueur incarner un microbe tentant d’échapper au système immunitaire pour faire un maximum de dégâts à son hôte. The Binding of Isaac (Edmund McMillen, 2011) propose quelques niveaux dont le design renvoie directement au corps humain (niveaux The Womb) et propose dans son interminable liste d’items la bactérie Escherichia coli. Bacterius (ou Nucleus chez nous, Kuju Entertainment, 2007) est un shoot’em up de type danmaku sorti sur PS3, et qui nous met aux prises avec de nombreux ennemis dans des environnements tirés du corps humain. Difficile enfin de ne pas citer Vibrio, présente dans le shooter coloré Vitamin connection (Wayforward, 2020). Si on la devine adaptée de Vibrio cholerae, une bactérie qui n’a rien de très sympathique en soi (le choléra, c’est elle !), son look adorable et sa façon de clamer « I make disaster pants ! » en font le candidat le plus mignon de cette liste.

 

Terrain idéal pour imaginer des bactéries aux propriétés fantaisistes, le jeu vidéo propose ainsi un beau catalogue de micro-organismes fictifs à l’inspiration plus ou moins évidente. La série médicale Trauma Center, initiée par Atlus en 2005, regorge de pathogènes bizarroïdes. L’épisode Wii Second Opinion, sorti en 2006, nous met ainsi aux prises avec une « bactérie cuirassée » nommée Pempti, davantage semblable à une nanomachine et capable d’atteindre le foie et les poumons des patients. Les deux épisodes de la série de jeux de survie Pathologic (Ice-pick Lodge, 2005 et 2019) nous confrontent à la sand plague, une épidémie frappant un village dans lequel il nous faudra survivre douze jours en dénouant les fils du mystère qui entoure cet endroit sordide. On y apprendra alors l’origine bactérienne de ce mal. Dans Subnautica (Unknown Worlds Entertainment, 2014), nos explorations nous mettent en contact avec la bactérie Kharaa, un pathogène d’origine extraterrestre s’étant répandue sur toute la planète aquatique 4546B. Le personnage principal devra d’ailleurs trouver un remède contre l’infection par Kharaa, ce qui en fait un point central de l’histoire du jeu et non pas un simple « à-côté ». C’est également le parti que prend Dishonored (Arkane Studios, 2012). Dans ce jeu au demeurant captivant, la ville de Dunwall est en proie à une épidémie de peste dite peste du rat, décimant sa population et participant grandement à l’ambiance crasseuse de l’univers du jeu, où la révolution industrielle de l’époque victorienne entre en résonance avec une maladie directement inspirée des épidémies de Yersinia pestis du Moyen-Âge. Si elle se veut fictive et anachronique, la peste du rat de Dishonored a donc un pouvoir d’évocation intéressant, en appuyant sur les conséquences de la fracture sociale de Dunwall et le manque d’hygiène des bidonvilles dont elle provient. Le joueur se voit ainsi directement exposé aux résultats de la propagation de la maladie, qui sert de cadre à ses aventures et se rappelle régulièrement à lui.  

Les bactéries font également partie du roster de pathogènes auxquels le joueur a accès dans le classique Plague Inc (Ndemic Creations, 2012). Cas de figure extrêmement pratique du point de vue de votre serviteur, tous les micro-organismes qui nous intéressent dans ce dossier "Microbes et Pathogènes du Jeu Vidéo" figurent dans cette amusante simulation d’anéantissement de l’humanité. Au fur et à mesure de la partie, il est possible de renforcer sa bactérie fictive pour qu’elle résiste aux antibiotiques ou démultiplie son pouvoir pathogène. Véritable porte-étendard de la simulation rigolote de pandémie, Plague Inc a trouvé une seconde jeunesse en 2020, lorsque la réalité a rattrapé la fiction.



En dehors de cet aspect d'ennemi invisible idéal, les bactéries présentent cet autre bel avantage : leur pouvoir d’incarnation d’une période donnée dans l’inconscient collectif. Certaines pathologies ont tellement marqué leur époque qu’elles permettent à un jeu de situer son action avec précision. Nos bactéries, non plus fictives mais bien réelles, deviennent alors des repères temporels évocateurs. L’un des meilleurs exemples récents est le dyptique A Plague Tale (Asobo Studio, 2019 pour Innocence et 2022 pour l’épisode Requiem), qui prend pour cadre l’épidémie de peste noire ayant sévi en Europe entre 1347 et 1353. Les dramatiques pérégrinations d’Amicia et Hugo se déroulent ainsi en 1348 dans une France subissant les ravages de l’épidémie, qui se voit ici amplifiée, presque rendue insurmontable, à travers des amas des rats colossaux capables de dévorer tout morceau de chair un peu trop proche. Un choix d’ennemi cohérent, tant les rats incarnent à eux seuls l’imaginaire lié aux grandes épidémies de peste : longtemps considérés comme les principaux vecteurs de la contamination jusqu’à l’homme, jusqu’à ce que leurs puces soient plus clairement mises en cause, ils voleraient presque la vedette au véritable agent pathogène de la peste, à savoir la bactérie Yersinia pestis, dont la capacité à traverser les époques pour faire resurgir la maladie en a fait l’une des principales menaces des derniers siècles1.



A Plague Tale : Innocence, 2019

 

Si A Plague Tale concentre son action autour de la maladie comme peu d’autres jeux l’ont fait, on trouve tout de même des évocations d’épidémies bactériennes dans d’autres titres marquants, à l’instar d’Assassin’s Creed Odyssey (Ubisoft, 2018), chez qui l’avatar du joueur est confronté à l’apparition d’une étrange maladie allant jusqu’à atteindre avec force la capitale athénienne. Cette représentation de l’épidémie de peste athénienne de -4302, dont la cause est régulièrement discutée bien que le bacille du typhus Rickettsia prowazekii semble être le candidat le plus probable3, transforme la ville le temps d’un chapitre pour en faire un endroit de désolation. Pour impliquer davantage le joueur, Ubisoft a fait le choix malin de le confronter aux premiers signes de l’épidémie dans un village, et de lui laisser le choix entre sauver les quelques personnes atteintes, ou abréger leurs souffrances pour éradiquer la progression de la maladie. La peste athénienne permet à AC Odyssey de faire intervenir des grandes personnalités liées à cet épisode historique, comme Périclès (qui en mourut à l’époque) et Hippocrate, comme pour brouiller les frontières entre sa propre représentation de l’épidémie et son déroulement réel4, qui diffèrent forcément malgré les efforts de fidélité historique louables dont la série Assassin’s Creed fait preuve depuis plus de quinze ans.

Autre époque mais mêmes problématiques pour le RTS Pharaon (Impressions Games, 1999), qui confirme que la gestion d’une ville en Egypte antique n’a rien d’une sinécure : si vous ne prenez pas garde à ce que vos sujets aient accès à des médecins ou à des points d’eau, des épidémies de peste peuvent ravager votre civilisation. Une bonne manière d’intégrer des notions d’hygiène au cœur du gameplay. Citons enfin la vénérable série The Oregon Trail, apparue dès 1975 et qui propose au joueur de guider des caravanes de colons à travers l’Amérique. Parmi les -nombreuses- menaces pesant sur les colons, la fièvre typhoïde (le bacille Salmonella typhi), la dysentérie (ou shigellose, due aux bacilles de la famille des Shigella) et le choléra (le bacille Vibrio cholerae) ne manqueront pas de décimer vos troupes comme cela pouvait arriver au début du XIXe siècle lors d’un voyage aussi long et difficile. Tout en faisant partie intégrante du gameplay du jeu, les bactéries d’Oregon Trail jouent là aussi le rôle de repères temporels, pour l’une des utilisations les plus marquantes de bactéries réelles dans le cadre d’un jeu vidéo.



The Oregon Trail

 

Et où se trouvent les « bonnes » bactéries, alors ? Bien peu de jeux destinés au grand public font le choix de les représenter, la faute à un intérêt scénaristique moindre. On les retrouve cependant dans certaines productions plus confidentielles, notamment dans des serious games, des jeux à but éducatif qui n’hésitent pas à les présenter aux côtés des bactéries pathogènes auxquelles nous sommes davantage habitués. Dessin animé culte pour beaucoup, Il était une fois la Vie a ainsi bénéficié d’une adaptation sur PC (Eclectica, 2000) afin d’apprendre aux nouvelles générations les rudiments de la microbiologie au sein du corps humain. Pour les plus curieux, l’inattendu Aux Origines de la Vie (sorti sur MO5 en 1987) propose au joueur de reproduire l’expérience de Miller qui, dans les années 1950, a tenté de produire une « soupe primitive » semblable à celle ayant permis l’émergence des premières formes de vie sur Terre. En ajustant au mieux ses conditions de culture, le joueur pourra ainsi créer un petit bacille (Bacillus subtilis) qu’il devra faire perdurer. ImmuneQuest (Syandus, 2014) prend quant à lui la forme d’un jeu de stratégie au tour par tour, le joueur devant diriger efficacement ses troupes de cellules immunitaires afin de nettoyer chaque niveau de ses occupants bactériens. Une représentation amusante des macrophages en tant que gros gloutons dévorant des amas de bacilles rend l’ensemble amusant et évocateur, tandis que des cartons apportant des informations biologiques rendent l’expérience aussi ludique qu’instructive.

Que les joueurs sur mobile se rassurent, la microbiologie a passé une tête sur leur téléphone au détour de quelques jeux pleins de bonne volonté à défaut d’être inoubliables, à l’image de Battle in the Blood (Université de Manille, 2019), un match-3 sensibilisant les jeunes philippins aux dangers des infections sexuellement transmissibles (IST). À bord d’un petit mécha envoyé dans leur circulation sanguine, ils devront faire face à des représentations du VIH et de Neisseria gonorrhoeae, la bactérie responsable de la gonorrhée. En alignant les icônes de préservatifs (pour booster sa défense) ou les symboles d’attaque pour faire baisser la barre de vie de l’adversaire, chaque tableau prend la forme d’un petit duel suivi de consignes de prévention et de coordonnées de centres de dépistage. Toujours sur Android, Bacteria Combat (Game Doctor Limited, 2018) est un court jeu de deck building où chaque bactérie se voit attribuer des caractéristiques à utiliser intelligemment lors de duels de cartes peu amusants mais toujours instructifs. Les férus de cartes pourront se rabattre sur l’expérience PC de Microbial Combat (Camilo Torres, 20215), qui repose sur un principe similaire mais un peu plus poussé. L’auteur propose une version à imprimer, pour que l’expérience virtuelle puisse donner lieu à des parties bien réelles, et pourquoi pas en tant qu’outil éducatif ?

 

Bacteria Combat Lite, 2018

 

Pour terminer, citons deux simulateurs de vie bactérienne que l’on sent inspirés par Spore, avec davantage des vertus éducatives : Thrive (Revolutionary Games Studios), en cours de développement mais d’ores et déjà jouable gratuitement sur PC6, propose de créer son organisme et le faire sur vivre et évoluer en profitant de son environnement, à travers une interface poussée. Hero.Coli (CRI Paris, 2013) décline un propos similaire, et sensibilise le joueur au monde la biologie synthétique en le mettant aux commandes de Stella, une petite bactérie que l’on pourra customiser à mesure que l’on récupère de l’ADN en progressant dans le jeu. Une sympathique expérience jouable gratuitement sur navigateur7.


Si l’univers des bactéries semble limité de prime abord lorsqu’on essaie de le rapprocher du jeu vidéo, ces quelques paragraphes nous permettent malgré tout d’entrevoir tout leur potentiel ludique. Ennemi intime, repère chronologie, outil d’apprentissage ou animal de compagnie, elles ne manquent pas d’intérêt et offrent plus de nuances que les virus, dont l’utilisation se fait à des fins exclusivement négatives, on le verra. Les plus attentifs d’entre vous constateront qu’il manque à cet article une bactérie pourtant importante, dont l’utilisation dans un blockbuster de 2018 a marqué un paquet de joueurs. Pas d’énervement cow-boys, rangez vos colts pour le moment ! Notre bactérie mystère fera son apparition sous peu dans un article qui lui sera entièrement dédié et nous permettra une immersion dans l’ouest lointain de 1899…

 

Battle in the Blood, 2019

 

Bibliographie

1. Yersinia pestis: the Natural History of Plague - PMC. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7920731/.

2. Les grandes épidémies (I) : La peste d’Athènes. HistoriaGames.com http://www.histogames.com/HTML/chronique/les-grandes-epidemies/1-la-peste-d-athenes.php.

3. Cunha, B. A. The cause of the plague of Athens: plague, typhoid, typhus, smallpox, or measles? Infect. Dis. Clin. North Am. 18, 29–43 (2004).

4. Littman, R. J. The plague of Athens: epidemiology and paleopathology. Mt. Sinai J. Med. N. Y. 76, 456–467 (2009).

5. MicrobialCombat BETA V5 | MicrobialCombat. Screentop.gg https://screentop.gg/@MicrobialCombat/MicrobialCombat2.

6. Thrive | Revolutionary Games Studio. https://revolutionarygamesstudio.com/.

7. Hero.Coli | A synthetic biology game. https://herocoli.com/.

 




 

La science et le jeu vidéo n’hésitent pas à s’inspirer, se nourrir et s’enrichir mutuellement. Si vous suivez ce blog depuis quelques années (et dans ce cas, un grand merci !) vous savez que ces rapprochements peuvent inspirer des pans entiers de scénario, comme ce fut le cas pour la révolution CRISPR-Cas9, ou donner lieu à de passionnantes études bien réelles, qui sont au cœur de la rubrique Stickology. Au cours de la décennie d’existence de ce blog, j’ai pu aborder bien des thématiques, des sujets les plus évidents aux publications de niche, mais jamais celle qui m’a mené à la profession que j’exerce. Un petit dépoussiérage plus tard, le vétuste blog Grab your Stick laisse donc sa place à une nouvelle identité, qui collera bien davantage au sujet qui nous y occupera pour les mois à venir : la microbiologie, appliquée au jeu vidéo !