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Red Dead Redemption 2 : Pour quelques Microbes de plus - Microbes et Pathogènes du Jeu Vidéo



 

Connaissez-vous Red Dead Redemption 2, ce jeu confidentiel aux quelques 50 millions de copies écoulées ? Si vous n’êtes pas familier des aventures d’Arthur Morgan, il est encore temps de vous rattraper grâce au test disponible ici même. Pour les autres, nul besoin de vous présenter en détail cette fresque dans l’Ouest lointain, aux chevauchées épiques entre cow-boys bagarreurs et aux environnements sublimes, si propices aux rencontres inattendues et au roleplay. Oui, tout a déjà été dit sur l’une des grandes oeuvres de Rockstar, de ses personnages phares jusqu’aux plus petits détails anatomiques de leurs montures, aussi n’allons-nous pas reprendre les grandes lignes de ce qui fait de RDR2 un classique de la précédente génération de consoles. Dans cette série d’articles, nous préférons d’ailleurs chercher la petite bête, ce qui tombe à pic car le jeu dont il est question aujourd’hui inclut à sa faune, déjà hétéroclite, un micro-organisme au rôle prépondérant au temps du Far-West. Spoiler alert, notre client du jour est intelligemment incorporé à l’histoire du personnage principal, à tel point que la lecture de ce qui suit risque bien de vous divulgâcher un sacré pan du scénario. Vous voilà avertis !

 

Red Dead Redemption 2 nous permet d’incarner Arthur Morgan, un cow-boy un brin bourru dans l’Amérique de 1899. Ses mécaniques de GTA-like, désormais bien connues, nous permettent d’arpenter librement les grandes étendues des plaines sauvages, et de remplir différentes missions afin de faire progresser le scénario. Parmi celles-ci, Arthur sera amené à prendre part à des fusillades, à des attaques de train et à des beuveries viriles au saloon local, mais il sera aussi amené à collecter des dettes pour le compte de créanciers impatients. C’est au cours d’une de ces missions de collecte qu’il fera la rencontre de Thomas Downes, un homme visiblement malade, incapable de rembourser l’argent qu’il doit, qu’Arthur n’hésite pas à rudoyer malgré les tentatives d’apaisement d’Edith, la femme du malheureux. Downes, le visage ensanglanté, tousse alors au visage de son bourreau. Arthur ne le sait pas encore, mais cette rencontre vient de sceller son destin. Comme pour avertir le joueur et son avatar que la situation va rapidement empirer, quand Arthur fait escale au domicile des Downes quelques semaines plus tard, Edith lui apprend que Thomas est décédé de cette maladie pas encore nommée, mais à l’apparition désormais inéluctable.

 


Peu de temps après, lors d’un déplacement a priori anodin dans la grande ville de Saint-Denis, une scène clé de Red Dead Redemption 2 se lance sans crier gare. Première vraie irruption de la microbiologie dans le jeu, et donc dans cet article, cette scène mérite une brève analyse ainsi qu’une contextualisation. Pris de vertiges et d’une toux dont il n’arrive pas à se défaire, Arthur descend de son cheval et perd connaissance dans la rue. Pris en charge par un bon samaritain lui indiquant le cabinet du médecin le plus proche, notre héros si robuste jusqu’ici avance péniblement, chancelle et tousse du sang, comme le montre la vue subjective qui nous est alors imposée. Un passage à la première personne au cours duquel se ressentent de façon directe les maux d’Arthur, dont la vision se trouble et que chaque pas semble épuiser davantage. Au bout d’une cinquantaine de mètres que l’on devine pénibles à parcourir, Arthur rencontre le Dr Barnes, un personnage que les joueurs auront déjà pu rencontrer au détour d’une quête facultative qui le montre procéder à l’amputation d’un bras. D’un ton grave, Barnes demande à Arthur de décrire ses symptômes. Celui-ci évoque alors sa toux sanglante, un indice très clair aux yeux du médecin, qui se saisit de son stéthoscope. Une rapide auscultation pulmonaire lui permet un diagnostic immédiat, implacable : Arthur souffre de la tuberculose. Il faut dire que depuis sa création en 1816 par le français Laennec, le stéthoscope fait office d’instrument de prédilection pour diagnostiquer cette infection bactérienne courante à l’époque. Seule la découverte des rayons X, deux décennies après l’action de RDR2, viendra renforcer les outils de diagnostic de la tuberculose. Barnes, en médecin aguerri et bien équipé, est capable d’identifier sans difficulté les formes pulmonaires de la maladie.

 

La bactérie responsable de la tuberculose pulmonaire, longtemps méconnue bien que la maladie ait été décrite depuis plusieurs siècles, a été découverte en 1882 par Robert Koch et porte le nom de Mycobacterium tuberculosis, ou bacille de Koch (BK)1. Cette découverte vaudra à Koch, personnage indissociable du développement de la bactériologie, le prix Nobel en 1905. Loin d’avoir été éradiquée depuis, la tuberculose touche toujours des millions de personnes à travers le monde, avec une incidence de 134 pour 100000 en 20212 et de fortes disparités entre les pays développés d’une part et les pays en voie de développement de l’autre. Mycobacterium tuberculosis est donc un bacille, autrement dit une bactérie en forme de bâtonnet, capable de se transmettre par voie aérienne comme c’est vraisemblablement le cas pour Arthur, sur qui Downes a toussé tandis qu’il se faisait rosser. En atteignant les voies respiratoires de la personne contaminée, la bactérie provoque des lésions pulmonaires et forme des tubercules lui permettant de se propager au reste du corps, entraînant des complications pouvant mener au décès si aucun traitement n’est proposé à temps.

 


 

Le Dr Barnes comprend donc immédiatement à quel point l’état d’Arthur est grave, et lui confirme par un simple “je suis désolé” que sa situation n’ira pas en s’améliorant : face à cette maladie contre laquelle il n’y a aucune cure efficace, il le sait condamné. La seule solution à ses yeux serait qu’Arthur prenne du repos dans un endroit chaud et au sec, ce que sa vie de vagabond ne lui permet évidemment pas. Cette proposition d’intégrer un sanatorium, faite à demi-mot, est tout à fait cohérente avec les pratiques de la fin du XIXe siècle. Un séjour dans ces établissements lumineux, au calme et exposés à l’air frais des montagnes ou du bord de mer, était souvent recommandé aux tuberculeux, scrofuleux et autres phtisiques3. Les théories hygiénistes de l’époque faisaient la part belle aux grandes bâtisses laissant entrer la lumière, à une période où les habitats des classes populaires, sombres et peu aérés, faisaient de par leur promiscuité un parfait nid à germes… dont le bacille de Koch. Si bien peu de guérisons miraculeuses pouvaient être attribuées aux sanatoriums fleurissant un peu partout, ces espaces sains où l’on mangeait correctement en s’octroyant du repos pouvaient aider le système immunitaire à lutter contre l’infection. Des vertus qui leur vaudront un succès certain pendant plusieurs décennies, un décret français de 1919 obligeant même chaque département à avoir le sien. 

 

Faute de mieux, la tuberculose a donc été traitée ainsi jusqu’au début des années 1940, quand la découverte de la streptomycine est venue révolutionner le traitement de la maladie. Dès 1943, un an après la découverte de l’antibiotique, un premier tuberculeux guérissait de la maladie. Les années suivantes voient la streptomycine devenir le principal traitement contre la tuberculose, et les sanatoriums devenir obsolètes : ils ferment progressivement dans la seconde moitié du XXe siècle, pour le plus grand bonheur des amateurs d’urbex du siècle suivant, toujours prêts à venir explorer les ruines de ces lieux chargés d’histoires sordides. Une bien étrange concomitance détaillée sur le graphique ci-dessous (source : tkt).

 

 

Mais revenons au cas d’Arthur Morgan, un peu sonné par ce diagnostic funeste. Après une injection de stéroïdes destinée à le remettre d’aplomb, celui-ci quitte le cabinet. La scène se termine par une longue déambulation dans les rues, notre héros prenant conscience du peu de temps qu’il lui reste à vivre. Dans son esprit semble s’opérer un revirement matérialisé par cette vision d’un cerf, qui se rappellera à nous à la toute fin du jeu si Arthur fait en sorte de restaurer son honneur. Car c’est décidé : il mettra ses dernières forces à devenir quelqu’un de meilleur, et les derniers chapitres du jeu le montreront évoluer, tentant de faire la part des choses entre le bien et le mal. C’est suite à l’apparition de la tuberculose qu’Arthur entame sa rédemption, qui donne son titre au jeu. Si son corps est de plus en plus marqué par la maladie et amaigri, deux conséquences bien réelles de la tuberculose que RDR2 reproduit à dessein, son état d’esprit change et invite par la même occasion le joueur à faire des choix. L’inévitable trépas d’Arthur sera ainsi modifié en fonction des actes commis, allant d’une fin apaisée à une mort brutale, ou plus métaphoriquement du retour du cerf à l’apparition d’un loup.

 

Si Red Dead Redemption 2 regorge de moments de grand spectacle, cette scène dans laquelle l’ennemi microbien, invisible, se révèle, fait peut-être office de point de bascule, tant par le rôle qu’elle joue pour la suite que par sa mise en scène venant appuyer l’importance du moment. Elle commence sans prévenir, et nous voit perdre le contrôle d’Arthur, qui ne réagit plus à nos commandes, comme si lui-même perdait la maîtrise de son corps. Comme si la maladie avait déjà pris le dessus. Sa déambulation maladroite vers le cabinet du Dr Barnes, vue à la première personne, détonne : elle nous plonge comme jamais auparavant dans l’esprit d’Arthur, et montre un héros jusqu’ici inflexible en position délicate. Par ce gameplay tantôt incontrôlable, tantôt entrecoupé de toux scriptées, Rockstar fait de la maladie du héros le principal obstacle à notre comportement de joueur, comme un signal que la tuberculose, loin de n’être qu’un point de scénario, fait office de réelle menace pesant sur notre avatar, et par extension sur notre façon d'appréhender le jeu. Simple désir d’immersion, ou réel message venant conditionner les actes futurs du joueur ? Toujours est-il que les choses semblent très différentes avant et après cette séquence, dont la mise en scène couplée à une représentation fidèle de ce qu’était l’infection par Mycobacterium tuberculosis à l’époque, font l’un des moments marquants de Red Dead Redemption 2. Y compris pour le joueur biologiste.

 

Une bibliographie succinte :

1.         Natarajan, A., Beena, P. M., Devnikar, A. V. & Mali, S. A systemic review on tuberculosis. Indian J. Tuberc. 67, 295–311 (2020).

2.         Global tuberculosis report 2021. https://www.who.int/publications-detail-redirect/9789240037021.

3.         Pezzella, A. T. History of Pulmonary Tuberculosis. Thorac. Surg. Clin. 29, 1–17 (2019).

 

 



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