Le raccourci peut paraître facile, mais globalement le monde du
jeu vidéo est divisé en deux catégories : d'un côté, les productions se
voulant purement divertissantes, et de l’autre celles qui préfèrent s’éloigner
de toute cette euphorie pour prendre le temps de véhiculer un message, et de
tenter de nouvelles approches graphiques ou sensorielles. Ces jeux, tels ceux
de thatgamecompany (Flower, Journey), apportent volontiers de l’eau au moulin
sur la porte duquel serait inscrite cette sempiternelle question : le jeu vidéo
est-il un art ? Le titre chroniqué ci-dessous appartient sans nul doute à cette
seconde catégorie. Son nom est Bound.
Puisque c’est par son esthétique que Bound intrigue, commençons
par là. En dehors de quelques phases dans le monde réel , servant de liant
entre les niveaux, l’action du jeu se déroule dans des décors réduits à leur
forme la plus simple et la plus pure. Notre avatar a pour terrain de jeu un
monde fait de formes flottantes à peine texturées, qui pourrait mettre à mal
nos repères mais parvient néanmoins à conserver toute notre attention grâce à
un design habile. L’univers vient tantôt apparaître à mesure que l’on avance,
ouvre tantôt une sortie en modifiant un mur, ou se joue de la gravité en nous
entraînant dans des couloirs élégamment tordus. Le tout dégage une réelle
beauté, à laquelle on peut cependant ne pas être sensible. L’harmonie ambiante
n’est finalement troublée que par les quatre personnages de Bound, deux figures
féminines (dont notre avatar, la Princesse) et deux masculines. Ces dernières,
sous des apparences colossales voire franchement monstrueuses, s’intègrent au
gameplay tout autant qu’elles servent le scénario.
Car oui, Bound n'est pas qu’un jeu dont chaque plan se
rapproche d’une belle toile, il a également des choses à dire. Les prochaines
lignes vont le spoiler, vous voici prévenus. Les phases de jeu et celles, plus
posées, qui les lient entre elles, abordent avec tendresse puis regrets la vie
d’une famille, rythmée par les hauts et les bas du couple de parents et leur
inévitable répercussion sur leurs bambins. Chaque niveau correspond ainsi à une
situation d’enfance dont se souvient l’héroïne, exposée d’abord assez
métaphoriquement puis clairement illustrée via une scène figée dans le temps
qui clôt le niveau. Ces scènes se reconstituent sous nos yeux tel un puzzle et
nous font réaliser, parfois subitement, où voulait en venir le niveau parcouru.
Cette mise en scène élégante et minimaliste nous laisse
interpréter les sentiments de la narratrice, et bien que l’on ressente de mieux
en mieux son état d’esprit, on peut également se sentir gêné. Gêné d’être
impliqué dans des thématiques aussi lourdes que la sévérité d’une mère ou
l’abandon d’un père, la tristesse d’un enfant et ses conséquences sur sa vie
d’adulte. Bound laisse parfois l’impression de ne plus parcourir un jeu mais
bel et bien d’assister malgré nous à une longue séance de psychanalyse. En
cela, il est à rapprocher de Papo & Yo, un titre dont le créateur Vander
Caballero n’a jamais caché qu’il cristallisait ses émotions d’enfant face à son
père rongé par l’alcoolisme, et représenté sous les traits d’un monstre perdant
régulièrement le contrôle. Bien que Bound soit le fruit du travail de tout un
studio, la sensation parfois amère qu’il laisse est similaire. Les deux jeux
partagent également une même faiblesse, celle de miser davantage sur la force
de leur message que sur l’intérêt de leur gameplay.
Bound se révèle ainsi être un platformer 3D assez bateau, qui ne cherche pas à innover. Il propose une panoplie de commandes classiques pour son genre : un saut, une roulade, un sprint, et la possibilité un peu plus originale de former autour de soi une protection temporaire. Il est dommage que les niveaux ne nous proposent pas davantage de difficulté, mais qu’importe ! Là n’est pas le coeur du jeu, qui se contemple plus qu’il ne se joue. Même les mouvements de notre avatar sont là avant tout pour servir la beauté du jeu. Entièrement retranscrits en Motion Capture à partir des gestes d'une danseuse contemporaine, il en émane une grâce, une légèreté et une malice qui nous poussent à découvrir chaque animation selon les situations, et à essayer plusieurs combinaisons de mouvements pour voir comment réagit le personnage. Là est le principal amusement qu’on tirera du gameplay de Bound, le reste se contentant de répéter des gammes que les joueurs ont assimilées il y a longtemps. Un mode speedrun sera l’occasion de les réciter une fois le jeu terminé une première fois. Tout en Bound laisse d’ailleurs penser qu’il tient à être un jeu à speedrun, de ses trophées à l’emphase mise sur ce mode de jeu. Les amateurs s’y adonneront sans doute, les autres en resteront là et préféreront se souvenir du titre pour ses trois heures d’élégance et son message mélancolique.
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