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- la Science du Jeu Vidéo, par Aurionis

[Roman] Bioshock : Rapture, une belle immersion


 


Aussi incroyable que cela puisse paraître, la série Bioshock a fêté en 2017 ses dix ans. Passé le choc du coup de vieux, force est de constater que l’aura de la série n’a pas perdu de sa splendeur, et que l’incroyable puissance évocatrice de Bioshock lui vient avant tout de son épisode fondateur. Un jeu qui reste aujourd’hui encore synonyme d’excellence, et qui a su transcender ce statut de simple divertissement pour s’imposer plus largement comme une œuvre forte, avec une personnalité propre. Le jeu peut se vanter de posséder une belle quantité de fans, transportés à l’époque par les mystères de Rapture et avides d’en apprendre toujours plus sur ce théâtre inoubliable. Car au-delà de ses qualités techniques ou de sa jouabilité, c’est bien par son ambiance si particulière que Bioshock a gagné ses lettres de noblesse. Il aurait été dommage de ne pas capitaliser sur Rapture, c’est sans doute pourquoi une adaptation en roman a vu le jour en 2011. La licence de 2K a été confiée à John Shirley, un habitué des novélisations déjà à l’œuvre sur des séries aussi fameuses que Borderlands ou Doom. Au programme : une nouvelle plongée dans l’utopie sous marine, et des révélations sur une période jamais clairement montrée dans le jeu, de sa genèse à son déclin. La promesse est belle et, comme nous allons le voir, joliment tenue. 




Personnage à part entière du jeu, la cité sous-marine de Rapture est l’un des théâtres les plus incroyables que l’on puisse parcourir. Utopie figée dans le temps (la fin des années 50, pour être exact), la ville est en proie au chaos quand le joueur la découvre. Sale, violente et parsemée d’habitants psychotiques aux corps décrépits, elle laisse pourtant entrevoir par petites touches sa grandeur passée, cette vie idyllique qu’elle devait abriter avant de prendre l’eau, au sens propre comme au figuré. C’est ce passé glorieux que nous dévoile le livre. Alors que la seconde guerre mondiale s’est achevée, et que deux bombes viennent de raser Hiroshima et Nagasaki, nous assistons à la naissance d’une idée folle chez le riche industriel Andrew Ryan. Une ville cachée des vices de ce monde, de la cruauté humaine, où chacun pourrait entreprendre comme il l’entend et où la science ne s’embarrasserait pas d’éthique pour avancer. Dans cet idyllique cosme ultra-libéral, nul n’aurait à craindre la guerre qui s’annonce en surface car Rapture, puisque tel est son nom, serait bâtie au fond de l’océan Atlantique. Un solide premier tiers du livre s’attache ainsi à la concrétisation du projet de Ryan : ses méthodes de sélection des élus appelés à le rejoindre, le financement et l'affrètement des matériaux nécessaires à la construction de la cité… On apprend à cerner le caractère de l’industriel, froid et déterminé, convaincu de l’humanisme de son idée et loin d’en imaginer les dérives à venir.

Passée cette introduction, le lecteur se retrouvera plongé dans Rapture pour ne plus en ressortir, tels les personnages qui ont quitté leur vie surfacienne en quête d’une société meilleure. Shirley s’attache alors à décrire le développement économique et scientifique de la ville, et ce deuxième acte est clairement pour lui l’occasion d’assurer une belle dose de fan-service en multipliant les allusions au jeu vidéo. De façon plus ou moins habile, chaque point de gameplay vient trouver sa justification : les distributeurs, les caméras de sécurité, l’introduction des armes et de la religion pourtant interdites, la présence de toutes ces bandes audio à travers la ville… et la création des plasmides, un évènement qui marque à la fois l’apogée de Rapture et le point de départ de sa déliquescence. C’est précisément le sujet du dernier tiers du livre, qui relate les conséquences des plasmides sur les Chrosomes et les nombreuses luttes de pouvoir venant ronger la cité. En point d’orgue, l’opposition féroce entre Andrew Ryan et Frank Fontaine, deux leaders dont les visions de Rapture entrent en collision pour in fine en précipiter la chute. Là encore, le lecteur/joueur pourra prendre plaisir à découvrir ces éléments au fur et à mesure qu’ils se déroulent, l’auteur ayant à coeur de ne pas s’éloigner des informations qu’avait pu fournir le jeu en son temps.



Rapture à elle seule aurait suffi à faire de Bioshock un jeu vidéo à part ; ses habitants en ont fait un jeu culte. On pouvait croiser dans chaque zone crasseuse de la ville une galerie de personnages fantasques et dérangés contribuant pour beaucoup à l’atmosphère creepy des lieux. Aussi John Shirley tient-il à respecter le cahier des charges, en nous proposant de découvrir les destins de plusieurs habitants de Rapture. Il fait intelligemment le choix de ne pas se concentrer uniquement sur les plus emblématiques d’entre eux, ceux qui ont laissé tant de souvenirs aux joueurs, mais d’explorer plus en détails ceux dont la vie n’a été qu’effleurée dans le jeu. Ainsi Bill McDonagh, croisé uniquement au détour de quelques bandes audio dans le jeu, devient-il un personnage central, fidèle assistant de Ryan auquel il voue une réelle admiration -il l’a sorti de sa misère après tout- avant de douter. Bien d’autres personnalités se croisent tout au long du récit, et bien que leurs noms ne nous soient jamais inconnus, la découverte de leur vie à Rapture et leur comportement face aux évènements qu’elle traverse leur donne une profondeur inédite. On sent là que Shirley a su profiter du flou qui entourait ces personnages pour leur insuffler toute l’humanité dont les personnages mieux définis dans le jeu l’ont privé.
Car du côté des figures les plus importantes, adulées des joueurs, le constat est un peu moins flatteur. On a certes droit à un background savamment étoffé pour Frank Fontaine, mais Andrew Ryan et Sander Cohen, figures incontournables, ont laissé à l’auteur moins de marge de manœuvre et cela se sent. Cohen est à peine effleuré, et même si Ryan est au cœur du récit, il ne parvient jamais à fasciner. Ses envolées lyriques semblent se répéter, sans surprendre, et atténuent l’impression que l’homme perd la raison en même temps que le contrôle de sa cité. Cela nous prive -sans doute volontairement- de développer pour lui l’empathie qui s'immisce en nous face aux personnages secondaires, de Suchong le scientifique fou à la moins froide qu’il n’y paraît Dr Tenenbaum. Leur duo et leur opposition sur le thème de l’éthique scientifique valent d’ailleurs le détour.


Bioshock : Rapture est donc une novélisation farouchement fidèle à son matériel d’origine, apportant quelques éclaircissements sur l’histoire de la plus célèbre des utopies vidéoludiques de ces dernières années. S’il s’adresse bien entendu aux fans, le travail de John Shirley peut néanmoins constituer une introduction à la série très convenable (quoi qu'à fort potentiel de spoiler) pour ceux qui hésitent encore à essayer les opus sur consoles et PC. On pourra regretter un petit manque de liberté là où on aurait aimé en trouver, cependant la fantaisie de l’auteur parvient à pointer le bout de son nez dès qu’il s’attelle aux cases laissées vides par le jeu. Sans briller d’un point de vue littéraire, sans vraiment étonner, mais sans jamais ennuyer non plus, les 570 pages du livre offrent donc au lecteur exactement ce qu’il attend en l’ouvrant : une plongée dans les intrigues d’une cité telle qu’il ne l’avait pas encore vue.


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