Jeu vidéo et Biologie - Stickology

- la Science du Jeu Vidéo, par Aurionis

 


Et si le jeu vidéo et la microbiologie étaient plus compatibles qu'on le pense ? On le sait désormais, il n'est pas rare de croiser des bactéries au détour d'une expérience ludique. Quand on parle de microbiologie, les virus ne sont jamais bien loin. Pourtant, contrairement aux bactéries et aux champignons, il est plus difficile de les considérer comme des micro-organismes vivants, bien que des philosophes scientifiques contemporains avancent des arguments à même de changer ce dogme1. En effet, là où les bactéries ont leur propre pouvoir de réplication pour peu qu’elles trouvent un substrat duquel puiser des ressources, les virus en sont dépourvus et doivent, pour proliférer, détourner toute la machinerie cellulaire de leur hôte (vous, moi, un pangolin) à leur profit2. En pénétrant dans nos cellules, ils libèrent l’ADN (ou ARN) qu’ils contiennent et y prolifèrent avant de partir à l’assaut de nouvelles cellules et d’accroître l’étendue de l’infection. Une certaine forme de parasitisme qui leur donne une image d’envahisseurs invisibles, bien pratique pour qui cherche un vilain microbe à mettre dans son jeu vidéo. S’il existe une myriade de familles de virus, nous verrons dans les paragraphes suivants qu’il n’est pas nécessaire de toutes les connaître pour profiter de l’apport que peut avoir un microbe aussi négativement connoté dans le cadre d’un jeu… à part pour les développeurs de Trauma Team (Atlus, 2010), des nerds à qui il semblait absolument nécessaire de préciser que leur virus Rosalia est un virus à ARN du groupe V de la famille des Filoviridae.

 

Les premiers virus qui vous viennent en tête sont probablement les trois affreux jojos contre qui lutte le Dr Mario (Nintendo, 1990) dans le jeu éponyme. Dans ce puzzle game au rythme entêtant, Mario est reconverti en toubib et lance des gélules colorées dont les combinaisons feront disparaître les virus bleus, jaunes et rouges, rejoints plus récemment par des cousins cyans ou roses dans Dr Luigi (Nintendo, 2014). Leur présence n’a pas d’origine incongrue, ni de similitudes avec les virus du monde réel : ce sont des ennemis de base contre lesquels le joueur doit lutter, et c’est tout. Il faut dire que la sale réputation des virus en fait des adversaires parfaits, des menaces crades et pas vraiment vivantes et que l’on n’a aucun scrupule à éliminer, à l’instar des zombies et des nazis dont les FPS sont friands. 

C’est sans doute ce qui explique leur présence dans des jeux reprenant à leur compte l’univers du Voyage Fantastique, un film de 1966 déjà abordé dans un article précédent et dont l’imagerie est régulièrement reprise depuis : le joueur, projeté à l’intérieur du corps humain, doit alors le purifier de ces assaillants indésirables. Aux jeux Amstrad CPC et Amiga directement tirés du film, on peut ajouter des expériences comme Bactron (Loriciels, 1986), qui nous place dans la peau d’une cellule immunitaire, ou encore le shmup Blast Factor (Bluepoint Games, 2006), deux jeux qui nous mettent aux prises avec des infections à l’échelle cellulaire. Citons enfin le puzzle-game Hexa Virus (Xflib, 2007), dans lequel il faut utiliser judicieusement des virus de différentes couleurs pour propager une infection aux cellules hexagonales adjacentes. Une sorte de Dr Mario inversé, histoire de boucler la boucle dans ce paragraphe dédié aux virus gentillets dont la présence n’est finalement qu’un prétexte pour étaler des gameplays classiques.

 

Hexa Virus, 2007


C’était le cas pour les bactéries, et il n’était pas question que les virus soient épargnés : les jeux éducatifs et les serious games n’hésitent pas à représenter ces menaces sous un angle plus original, pour enseigner les moyens de prévention et de lutte contre les infections, le tout de façon ludique. Le puzzle-game philippin Battle in the Blood (University of the Philippines, 2018), évoqué dans l’article dédié aux bactéries, contient ainsi divers messages de prévention et des questionnaires portant sur l’infection par le VIH. Le jeu narratif I’m Positive ! (Stephen Borden et al, 2014) choisit lui aussi de faire du virus du SIDA le cœur de son récit, en nous mettant dans la peau d’un jeune homme apprenant son infection. Il appartiendra au joueur de prendre les décisions adaptées, et de suivre le quotidien de ce protagoniste qui lui ressemble peut-être. Le jeu a été récompensé lors de la CDC & HHS Games for Health Game Jam 2014, démontrant la pertinence de son propos auprès d’un public jeune plus forcément aussi mobilisé contre la maladie qu’auparavant.

 

I'm Positive, 2014

 

 

Le jeu vidéo permettant tous les changements d’échelle, les serious games peuvent proposer de contenir une infection au seul niveau du corps humain, ou de carrément protéger la Terre d’une menace virale. Ainsi, Microbe : the Anatomical Adventure (Synergistic Software, 1983) nous installe aux commandes d’un sous-marin miniaturisé, explorant la circulation sanguine d’un patient pour diagnostiquer et combattre les pathogènes qui le menacent. Des éléments de survie s’ajoutent à l’exploration, afin de maintenir notre vaisseau en bon état. Dans un style plus bariolé, Click Medic (Game Freak, 1999), à la fois première et dernière excursion de Game Freak sur Playstation avant de passer sous la bannière de Nintendo, propose d’explorer les entrailles du corps humain à bord d’un minuscule vaisseau, à la recherche d’infections que l’on contient par le biais d’un mini-jeu.

 

Changement d’échelle donc, avec Contamination (ERE Informatique, 1986), à qui on ne reprochera pas d’usurper son titre. Dans ce titre qui ravira les fans d’interfaces fixes et de mappemondes, la planète est sous la menace d’un pathogène inconnu qu’il faudra tout d’abord identifier, avant de mettre au point divers traitements à tester jusqu’à trouver le bon. À vous d’assurer la gestion des différents foyers épidémiques, mais gare aux mutations inattendues capables de renforcer la menace virale ! Près de quatre décennies plus tard, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) reprend ce principe dans Agent tous risques (ANSES, 2023), disponible gratuitement en ligne. Dans cette courte expérience narrative de gestion de crise sanitaire, le joueur dispose d’un temps limité pour identifier une zoonose, c'est-à-dire une maladie animale potentiellement transmissible à l’homme. Il n’appartient qu’à vous de faire confiance aux données du terrain ou d’écouter les vendeurs de remèdes miracles trouvés sur les réseaux sociaux ! Le jeu se veut représentatif des responsabilités de l’ANSES dans pareille situation, et met en parallèle l’évolution des contaminations, la charge de travail des agents, la confiance du public et la recherche de tests diagnostiques pertinents3.

 

Contamination, 1986

 

 

Mais que se passerait-il si l’humanité échouait à créer un moyen de combattre efficacement les virus, ou que ceux-ci possédaient un tel arsenal pathogène qu’ils étaient en mesure de menacer la vie sur Terre ? C’est visiblement la question que s’est posée l’intégralité des scénaristes de jeux vidéo du simple au triple A au cours des trente dernières années, tant ceux-ci se sont évertués à trouver la menace inéluctable, le létalissime virus, l’agent du chaos à l’échelle du nanomètre, en un mot comme un cent : la recette du virus parfait. Pour un bon virus, il vous faut donc :

 

  • Une pincée de guerre biologique : quelle meilleure arme biologique qu’un virus bien costaud, savamment élaboré en laboratoire, et lancé sur une population incapable d’y faire face ? N’allez pas poser la question aux Krogans de la saga Mass Effect (Bioware, 2007), donc l’espèce a été décimée par le virus Génophage mis au point par leurs ennemis Turiens. Contaminant jusqu’à la dernière cellule de leur organisme pour contrer toute tentative de thérapie génique, le Génophage se transmettait également à la descendance et eut pour résultat de réduire à peau de chagrin une civilisation toute entière. L’approche des Ceph, dans Crysis 2 (Crytek, 2011), est à peu près la même : en lâchant leur nano-virus de synthèse sur les humains, ils font de nombreux morts et les survivants, à peine conscients, sont couverts de mycéliums contagieux au sein desquelles le Manhattan Virus attend sa prochaine cible. Combinaison surprenante d’un virus résistant aux antiviraux et de spores de champignon, ce virus semble toutefois moins redoutable que le Génophage car son pouvoir de transmission est limité.



  • Deux bonnes cuillères de mutants : tuer sa cible, c’est bien pratique, mais ne serait-il pas plus malin d’en faire un monstre se retournant contre ses semblables ? Quel que soit le petit nom donné à la personne contaminée (infecté, zombie, mutant, etc), l’effet du virus sur son comportement, voire son apparence physique, est impressionnant et en fait une opposition de choix pour le joueur. Citons par exemple le virus Nécromorphe de Dead Space (Visceral Games, 2008), aux frontières du prion et de la bactérie grâce à sa capacité à réaliser des mitoses vingt fois plus rapidement que la normale, et qui combine des atteintes psychologiques à un comportement de prédation envers ceux qui ne sont pas contaminés, pour produire des ennemis effrayants et affamés. Dans la série Fallout (Interplay, 1997 puis Bethesda, 2008), le Forced Evolutionary Virus est à l’origine de l’aspect et de la force des supermutants, tandis que le Blacklight virus des jeux Prototype (Radical Entertainment, 2009), en révélant le pouvoir codant des portions d’ADN auparavant dormantes dans les introns, donne des compétences accrues aux rares humains capables d’y survivre. Impossible également de ne pas citer la grande collection de virus rencontrée dans la saga Resident Evil (Capcom, 1996), ne serait-ce que le virus-t croisé dès les premiers épisodes d’une série dont le titre original n’est pas Biohazard pour rien. Mais promis, nous y reviendrons plus en détail un jour !



  • Une louche de fin de civilisation : quand le virus devient incontrôlable, que les morts s’accumulent ou que les infectés sont en trop grand nombre, c’est toute la civilisation humaine qui est menacée. Il ne s’agit alors plus de simplement contenir quelques ennemis que l’infection a rendus plus costauds, mais bel et bien de survivre au chaos total. C’est peu ou prou le propos de la série The Walking Dead (TellTale Games, 2012), venue rafraîchir le point’n click des années 2010 grâce à sa narration mature et aux choix éprouvants auxquels le joueur se voit confronté. Le virus responsable de la zombification de la planète n’est déjà plus important en tant que tel, car ses conséquences font désormais du quotidien de Lee, Clementine et leurs amis une lutte pour leur survie, dans un monde dévasté. Dans Virtue’s Last Reward (Chunsoft, 2012), le Radical-6 est un virus poussant les infectés à se suicider, responsable de près de six milliards de morts en l’an 2029, et que l’humanité a tenté de contenir par la manière forte : il en résulte un hiver nucléaire poussant les terriens à l’exode. C’est également un virus qui change la population en mutants féroces dans le survival horror pixellisé Lone Survivor (Superflat Games, 2012), dans lequel le héros évolue dans une ville crasseuse. Dans le même registre, Unforeseen Incidents (Backwoods Entertainment, 2018) nous plonge dans une petite ville atteinte de la fièvre yelltownienne, provoquée par un virus, et qui contraint la population à se confiner, deux ans avant qu’une autre pandémie ne fasse se rejoindre la réalité et la fiction !



  • Un soupçon de crédibilité : quitte à inclure un virus à son scénario, autant le peaufiner pour que l’ensemble soit convaincant d’un point de vue scientifique. Sur ce point, les équipes derrière The Division (Massive Entertainment, 2016) ont bien fait les choses, en concoctant un virus crédible, aux conséquences tout aussi plausibles. Le “green poison” ou Variola chimera est en effet un virus chimérique, une création de synthèse établie sur une base de virus de la variole agrémentée de propriétés de la dengue, du virus Ebola4, de H1N1, du virus de Marburg5 et de hantavirus6. Un cocktail à l’infectiosité boostée, létal pour 90% des infectés, et transmis sur des billets de banque au cours du black friday à New York, ce qui lui vaut le surnom de “dollar pox”. La ville décimée sert ainsi de cadre au premier des deux jeux de la série. Hideo Kojima, jamais en reste quand il s’agit d’élaborer des histoires complexes, a mis au centre de son Metal Gear Solid (Konami, 1997) le virus FoxDie, un rétrovirus transmissible par voie aérienne et programmé pour ne s’en prendre qu’aux personnes possédant une certaine signature génétique. Le virus pénètre dans leurs macrophages, où il induit la sécrétion de TNF-ε. Cette cytokine trouvera ensuite ses récepteurs au niveau du cœur de la victime, puis provoquera une apoptose massive des tissus cardiaques, et donc une crise cardiaque fatale au porteur. C’est donc une arme biologique en bonne et due forme qui nous est présentée ici, si bien qu’on l’imagine applicable avec des technologies à peine plus avancées que les nôtres. Enfin, les virus peuvent servir à installer un cadre historique réaliste, comme dans Vampyr (Dontnod Entertainment, 2018) dont l’histoire se déroule en 1918, en pleine épidémie d’une grippe espagnole (H1N1) qui fera plusieurs dizaines de millions de victimes à travers le monde au sortir de la Première Guerre Mondiale. Un procédé déjà détaillé dans l’article sur les bactéries, qui permet de crédibiliser son récit en l’ancrant à un point temporel fixe aisément identifiable par le joueur.

 

The Division,2016


 

Fort de tous ces enseignements sur la meilleure façon de concevoir un virus inarrêtable, il ne reste plus au joueur qu’à se lancer et à créer sa propre arme biologique. On l’a déjà évoqué dans ces colonnes, mais Plague Inc (Ndemic Creations, 2012), véritable phénomène de la gestion de pandémie du point de vue du microbe, se prête magnifiquement à cet exercice. Le joueur peut y sélectionner diverses améliorations pour augmenter la résistance de son virus aux traitements, ou le doter de nouveaux facteurs de pathogénicité, pour qu’il puisse réduire la population mondiale à néant. Un tel phénomène s’accompagnant inévitablement de clones plus ou moins fonctionnels, citons également Outbreak : Infect the World (MacawDev, 2019), qui ajoute à ce “mode pathogène” la possibilité de jouer le rôle de l’humanité en quête de survie face aux affreux microbes. Une facette intéressante, ce genre de jeu permettant le plus souvent de ne jouer que les microbes ou les humains. Enfin, pour les amateurs de crafting de pathogène, l’avenir s’annonce radieux avec l’arrivée prochaine de Winnie’s Hole (TwiceDifferent, 2024). Le petit ourson mignon de votre enfance, décidément ravi d’être passé dans le domaine public après son adaptation en film d’horreur, va cette fois-ci faire face à un virus logé dans son corps. Dans le rôle de la bébête, vous devrez vous développer, endommager l’intérieur de Winnie et en faire une monstruosité capable de s’en prendre à ses amis. Un programme tout en finesse, pour un jeu qui attisera forcément la curiosité dans quelques mois…

 

Document de game design de Winnie's Hole, 2024

 

Que retenir au final de tout cela, quel est l’intérêt de mettre des virus dans son jeu ? Par bien des aspects, les virus et les bactéries partagent ce rôle d’éducation au monde des pathogènes, le côté “parasitaire” des virus en faisant des adversaires d’autant plus répandus. Là où les bactéries étaient volontiers utilisées pour situer un jeu dans un moment bien défini dans le passé, car elles sont la cause de plusieurs grandes épidémies qu’a connues l’humanité, les virus sont quant à eux les éléments perturbateurs préférés des jeux d’anticipation et de la science-fiction. Ils permettent toutes les folies et mettent généralement en place un chaos, voire des apocalypses, servant de décor idéal aux jeux d’action, aux RPG et autres genres friands de post-apo et de conflits. La différence de traitement est assez nette : si certaines bactéries sont nos amies, on ne nous montre jamais de virus sous un visage sympathique. Qu’ils soient créés dans un laboratoire ou d’origine extraterrestre, et à défaut d’avoir droit à des détails scientifiques poussés, leur seul but est de causer des dégâts que le joueur devra contenir du mieux qu’il peut. Une menace permanente comme outil de game design, simpliste mais toujours efficace.

 

Après des paragraphes entiers dédiés aux virus responsables de maladies animales ou humaines, de générateurs de chaos et d’annihilateurs d’humanité, il n’est que justice de finir cet article avec, probablement, le plus adorable virus vidéoludique : le Pokérus. Apparu dans les versions Or et Argent de la série Pokémon (GameFreak, 1999), ce virus touchera parfois votre monstre de poche au contact d’un Pokémon sauvage infecté, et ira se propager au reste de l’équipe. Il sera alors signalé par une petite icône, mais pas de panique ! Vos Pokémon ne courront aucun danger, au contraire, puisque le Pokérus a l’effet bénéfique de doubler les EV gagnés, et permet donc de gagner de meilleures statistiques. Sans doute le contre-exemple le plus célèbre à cette affreuse liste de virus, et qui reproduit à petite échelle les mécanismes d’une épidémie. Ce qui tombe plutôt bien, car les épidémies virtuelles seront au programme du prochain article de notre série Microbes et Pathogènes du Jeu Vidéo… Soyez au rendez-vous !

 

 

Bibliographie

 1.            Pradeu, T., Kostyrka, G. & Dupré, J. Understanding viruses: Philosophical investigations. Stud. Hist. Philos. Biol. Biomed. Sci. 59, 57–63 (2016).

2.            Pellett, P. E., Mitra, S. & Holland, T. C. Basics of virology. Handb. Clin. Neurol. 123, 45–66 (2014).

3.            Agent tous risques | ANSES. https://agent-tous-risques.anses.fr/.

4.            Baseler, L., Chertow, D. S., Johnson, K. M., Feldmann, H. & Morens, D. M. The Pathogenesis of Ebola Virus Disease. Annu. Rev. Pathol. 12, 387–418 (2017).

5.            Kortepeter, M. G., Dierberg, K., Shenoy, E. S., Cieslak, T. J., & Medical Countermeasures Working Group of the National Ebola Training and Education Center’s (NETEC) Special Pathogens Research Network (SPRN). Marburg virus disease: A summary for clinicians. Int. J. Infect. Dis. IJID Off. Publ. Int. Soc. Infect. Dis. 99, 233–242 (2020).

6.            Jiang, H. et al. Hantavirus infection: a global zoonotic challenge. Virol. Sin. 32, 32–43 (2017).

 

 

Articles de la série "Microbes et Pathogènes du Jeu Vidéo"

1- Introduction

2- Les Bactéries

3- Red Dead Redemption 2 : Pour quelques Microbes de plus