[Test] Red Dead Redemption 2 (PS4)













Il n’était pas question de proposer un test de Red Dead Redemption 2 sans l’avoir parcouru dans presque tous les sens. Après de longues années d’attente, la suite d’un de mes plus grands coups de coeur (sur lequel je m’étais étalé ici-même) ne saurait être survolée. Au bout de trois mois, c’est enfin chose faite et j’ai le sentiment de pouvoir délivrer un avis complet sur l’un des titres phares d’une année 2018 qui en a compté une sacrée pelletée. Bardé de superlatifs et de notes élogieuses depuis sa sortie, le nouveau Rockstar est clairement un gros morceau, un titre à la démesure annoncée pour lequel trouver un angle d’attaque n’est pas une tâche facile. Toutes ces heures passées à en arpenter les décors m’ont cependant amené à une question qui nous servira de fil rouge au cours de ce -long ?- ressenti : Red Dead Redemption 2 est-il encore un jeu vidéo ? Rangez vos colts, asseyez-vous près du feu et prenez un café moulu, nous allons détailler tout ça.



MORGAN DE TOI


Red Dead Redemption 2 a le bon goût de proposer une préquelle aux aventures de John Marston, tout en n’en faisant pas une seconde fois le héros. L’action se situant douze ans avant le premier jeu, John n’est ici qu’un jeune père de famille faisant partie de la bande de Dutch Van der Linde, que l’on a connu en tant qu’antagoniste mais qui se dévoile ici en chef de clan charismatique, en quête d’un avenir meilleur après un casse qui a mal tourné. Dans ce qui apparaît comme une petite famille unie pour s’en sortir, notre héros est un ami et bras droit de Dutch, Arthur Morgan. C’est à travers ses yeux que nous assisterons aux joies et aux coups durs du gang, dans sa fuite en avant tandis qu’il est pourchassé par les représentants de la loi. On imagine sans mal le challenge qu’a pu représenter pour Rockstar la conception d’un héros venant succéder au charismatique et tant apprécié John Marston, et l’auteur de ces lignes confesse n’avoir cru à aucun moment qu’Arthur se montrerait à la hauteur. Quelle satisfaction de m’être trompé sur ce point ! Loin du côté lisse qu’il a pu dégager lors des bandes-annonces du jeu, le héros se révèle progressivement comme un individu attachant, dont l’humanisme naïf transparaît à mesure que ses convictions en son mode de vie sont mises à mal. Cette Rédemption qui donne son titre au jeu, c’est la sienne : celle d’un caïd par défaut, qui se trouve confronté aux limites de sa moralité. Par bien des aspects néanmoins, l’écriture de ce personnage se montre proche de celle de John il y a bientôt dix ans. Certaines lignes de dialogue ne trompent pas, et les caractères des deux héros ne sont finalement pas si différents que cela. Leurs objectifs en revanche font que chacun saura marquer durablement le joueur à sa façon.


L’histoire d’Arthur sert également à nous éclairer sur la vie de la bande de Dutch, dont on a deviné des bribes dans Red Dead Redemption premier du nom, mais qui nous est ici présentée au grand complet. C’est toute une galerie de personnages secondaires aux origines et aux motivations variées dont la vie se déroule sous nos yeux, comme une fourmilière dont on connaît le funeste destin, mais pour qui une empathie se crée au gré des galères, des changements de camp mais aussi des moments gais, de beuverie et de jeu. Tous n’ont pas droit au même traitement, et malgré la grande qualité d’écriture dont Rockstar sait faire preuve, certains seconds couteaux paraissent sous-exploités. Il n’en demeure pas moins que le campement est un endroit intéressant d’un point de vue narratif et ludique. Arthur peut y déambuler, participer à quelques tâches, contribuer aux finances du groupe, s’y changer, se raser, discuter avec ses compagnons ou simplement assister à quelques scénettes qui en diront davantage sur les relations des uns et des autres. C’est un cocon, un petit lieu de vie savamment orchestré à côté duquel il serait dommage de passer, le tout étant facultatif. Cet abri est d’autant plus réconfortant qu’une fois au dehors, Arthur ne pourra compter que sur lui-même, ses armes et sa monture. La recette est alors bien connue : dans un monde ouvert immense et bien plus varié que par le passé, il sera possible de se mettre en quête de missions ou tout simplement de vaquer à toute occupation que l’on jugera pertinente. Impossible de remettre en question le savoir-faire des orfèvres de Rockstar dans un genre du GTA-like qu’ils ont façonné eux-mêmes, et dont chaque nouvelle version redéfinit les contours. La comparaison avec le monde de RDR reste inévitable, et ne tourne curieusement pas forcément à l’avantage de celui qu’on croit.


AU FAR WEST RIEN DE NOUVEAU ?


L’attente autour de ce nouveau monde à explorer était telle qu’on n’imagine sans doute pas la pression qui pesait sur les épaules des équipes de Rockstar, bien que les médias nous en aient rapporté des bribes peu reluisantes. Le résultat, cependant, est incroyable. En faisant le choix de s’éloigner des déserts monotones arpentés par Marston, pourtant si caractéristiques de l’imaginaire western que le cinéma de Sergio Leone et consorts a si bien représenté, RDR2 parvient malgré tout à captiver par la richesse de ces nouvelles zones, aux biomes plus variés et aux panoramas stupéfiants. Le sable et la roche laissent place aux marais, aux grandes plaines verdoyantes et aux crêtes enneigées, pour un émerveillement permanent. Le travail sur la faune, considérable, donne vie à l’ensemble de façon très naturelle, tandis que la végétation soutient joliment le design de chaque zone. C’est sur cette crédibilité que semble d’appuyer le jeu pour immerger le joueur dans l’Amérique de 1899. Face à cette nature époustouflante, le travail des villes ne déçoit pas non plus, sans paraître aussi révolutionnaire. Les principales différences ne sautent pas aux yeux des joueurs car nichées dans des détails qu’il faut prendre le temps d’apprécier, tel le rythme circadien respecté par les PNJ et leurs interactions. Un bel effort a d’ailleurs été fait sur ces interactions, auxquelles on prend véritablement part grâce à la possibilité de saluer ou provoquer les passants. Ici aussi, pour savourer pleinement les nouvelles possibilités qui nous sont offertes, il faudra être capable de prendre son temps, de laisser le jeu nous dicter son propre rythme, qui semble globalement plus lent que dans RDR.


Ceci se manifeste sous diverses formes, la plus flagrante étant la lourdeur du personnage ressentie dès le tutoriel (et malhabilement amplifiée par la neige qui y est omniprésente). Arthur  n’est pas un surhomme, et ses déplacements et actions paraissent plus patauds que ceux que les standards actuels imposent. On sent dans ce choix un désir d’accentuer le côté “la vie, la vraie” que le design du monde ouvert souligne déjà. Il faudra s’y faire, accepter de se débattre quelques temps avec ce côté balourd puis de s’y soumettre pour comprendre que tel le cow-boy incapable de régir le monde qui l’entoure, le joueur de Red Dead Redemption 2 n’a pas le pouvoir d’outrepasser la volonté du designer. Trop bercé à la surpuissance, le joueur en a oublié que le monde peut être hostile, et que ses erreurs ont des conséquences. Ici, percuter un arbre à pleine vitesse aura tôt fait de lui faire perdre une monture, et bousculer un passant par inadvertance pourra lui valoir une volée de plomb. Jamais vraiment maître de ses actes et de ses mouvements, le joueur pourrait donc pester face à un jeu qui lui désobéit et le punit injustement, avant de se rendre à cette évidence : Red Dead Redemption 2 est une simulation de vie, avec ce que cela implique de règles à respecter. Parmi celles-ci, les plus claires ont des conséquences visibles : on est plus faible quand on ne se nourrit pas et l’hygiène corporelle, prise en compte, n’est pas qu’un gadget cosmétique. Mais des règles plus implicites, auxquelles on n’est pas habitués dans le cadre du jeu vidéo, comme d’adopter des comportements sociaux convenables, viennent se greffer à l’expérience. Cette attention maniaque portée aux détails fait paradoxalement du jeu la reconstitution la plus fidèle de la vie dans l’Ouest, mais lui fait perdre en fun ce qu’il gagne en réalisme. Plus punitif et moins accommodant que son aîné, le titre de Rockstar semble compenser par une profusion d’éléments relevant du détail le manque d’originalité de son gameplay, au demeurant très proche de celui du premier.


L'HISTOIRE SANS FIN


Fort de son univers et de ses personnages, RDR2 embarque donc les joueurs dans plusieurs dizaines d’heures rien que pour voir le bout de sa trame principale. Une durée de vie imposante et loin d’être désagréable dans son intégralité mais qui, quand on la décortique, fait état d’un paradoxe. Parmi les nombreuses quêtes du jeu, bien peu semblent finalement indispensables au déroulement de l’histoire, le reste paraissant presque accessoire. Ce côté généreux ne cache-t-il pas une faiblesse, un désir de raconter une histoire pour raconter une histoire, sans accepter d’en couper les moments les moins indispensables ? Il n’est pas question ici de remettre en cause les choix du studio, qui de toute évidence se sont révélés judicieux tant le jeu a su emballer l’opinion. Cependant, telle une série télévisée à la qualité inégale, il semble parfois tirer en longueur, imposant des chapitres un peu longuets face à des séquences bien pensées mais vite expédiées. Dans un souci de dramaturgie constante, il prend le risque de lasser en faisant passer le vrai gameplay au second plan. Que penser par exemple de cet épilogue, vraiment plaisant à parcourir mais qui refuse de s’achever en moins de huit heures ? Ou bien de ces activités récréatives, de ces quêtes fedex, de ces longs trajets seulement ponctués de dialogues ? Être capable de concevoir une histoire aussi captivante ne dispense pas d’en maîtriser le rythme, et on a finalement le sentiment que Red Dead Redemption 2 essaie un peu trop fort d’être le film que sa condition de jeu vidéo l’empêche d’être. Moins orienté vers l’action que son aîné, il mise plus sur son scénario et son univers que sur son gameplay. Si tout bon jeu doit pouvoir compter sur ces trois éléments, ils sont ici un peu trop déséquilibrés à mon goût.


Lassés du mode solo, les joueurs trouveront peut-être leur bonheur dans le mode multijoueur en ligne, basé sur le modèle retrouvé dans le dernier GTA. Difficile d’émettre un avis ferme et définitif dessus, puisqu’il est toujours en phase de beta, six mois après la sortie du jeu (!). Légèrement scénarisé pour l’occasion, dans des proportions bien moindres que le solo, il permet de profiter à plusieurs de l’intégralité de la carte du jeu et de prendre part à des activités classiques de deathmatch ou domination, mais aussi des modes plus originaux comme celui qui impose d’éliminer ses adversaires à l’arc dans des décors faisant la part belle à la furtivité. La beta étant régulièrement rééquilibrée et dotée de nouveaux modes de jeu, il faudra attendre un peu pour savoir ce qu’elle vaut vraiment. Pour le moment, entre les fusillades désorganisées et le matchmaking impitoyable, rien ne me laisse supposer que j’y passerai autant d’heures et de moments de gloire que dans le mode online de RDR premier du nom, plus accessible à tous types de joueurs et au terrain de jeu qui, par sa petite taille, permettait des interactions moins hostiles.


En résumant rapidement ce nouveau Red Dead, on serait tenté de le décrire comme “le premier, en mieux”. Une petite correction de ma part me ferait dire qu’il est davantage “le premier, en plus complet”. Cette différence change beaucoup de choses de mon point de vue. Avec sa profusion d’éléments nouveaux, le soin inédit apporté à reconstituer fidèlement tout ce qui fait le charme de l’Amérique des westerns et son scénario parfaitement ciselé pour faire du dyptique RDR 1+2 l’une des sagas les plus inoubliables du jeu vidéo, le jeu a toutes les cartes en main pour rester dans les mémoires comme la suite parfaite, celle qu’on ne regrette pas d’avoir attendu huit ans. Pourtant cette parfaite simulation de la vie dans l’ouest sauvage n’a pas répondu à toutes mes attentes. J’ai pris son enrobage irréprochable pour de la poudre aux yeux, cachant un coeur plus décevant, incapable de reproduire chez moi le miracle qu’a été la découverte du premier Red Dead Redemption. Je me moque bien de pouvoir tresser la crinière de mon cheval de six façons différentes si le moindre écart au trot me met la ville entière à dos. Je n’ai que faire des parties de pêche si aucun moment fort de vient récompenser ma patience. Je ne suis pas exactement un joueur bourrin, mais j’aime prendre du plaisir devant un jeu vidéo et sur certains aspects importants à mes yeux, Red Dead Redemption 2 rate sa cible. En complexifiant son propos et en multipliant les babioles accessoires, il a perdu de ce côté “pur jeu vidéo” que j’aimais tant pour devenir un sous-produit hollywoodien dans lequel, en tant que joueur, je n’ai pas complètement trouvé mon compte. Il ne fait aucun doute qu’il restera à jamais une étape importante dans la façon de concevoir un jeu vidéo. C’est un très grand jeu. Mais pas mon très grand jeu.

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